Sur des pierres de sentiments
Très dures
Nous tombons à genoux.
Devant l’oiseau qui disparaît
De notre ciel
Devant l’abeille, reine ou pas,
Souffrons
Sur une terre empoisonnée,
Privés de nids de miels d’amour.
Dans son dernier recueil, joliment et justement intitulé « Lumière plus vive que veuve », Marcel Migozzi prolonge, dans un même élan de mots emplis au souffle retenu, une œuvre poétique déjà immense et le ressassement des souvenirs d’une vie que chaque année qui passe confronte davantage à la vieillesse - usure et fatigue du corps, jusqu’à la maladie - et à la mort des êtres chers, parents ou amis, dont la présence pourtant persiste en nous, comme une lumière sourde qui pâlit mais ne s’éteint pas, et résiste à l’érosion du temps et à l’oubli.
Plein de quoi tes silences
Dans cette vie de pauvre corse, père ?
Matin porte de l’Arsenal cantine atelier de la voilerie
Déjà le soir, le gris
Répété dans la barbe et
Le dimanche en bleu de chauffe.
Partageons tes derniers silences
Sans en emprunter aux marbres
Et le figuier de ton jardin
Qu’il te parfume, père
L’éclat de cette lumière rasante révèle les reliefs d’une vie dont l’enfance fut marquée par la pauvreté de la condition ouvrière et par les privations des années de guerre, mais la mémoire dévoile et illumine la beauté fragile des choses ordinaires et des instants vécus, négligés et presque oubliés, noyés dans le flux des jours quotidiens, et qui ressuscitent dans les mots et la mémoire. Les deux premiers vers du recueil « Il se souvient de la lumière odorante / Qui attendait l’enfant » annoncent, dans une synesthésie sensorielle pour évoquer la pomme dans le placard de la cuisine, aussi rouge et juteuse que la madeleine de Proust, le désir de retrouver, et sauver, les traces d’une vie...
La chaise en paille en souvenir
D’une moisson, dans quelle ferme,
Et l’armoire poitrinaire
Serrant des linges épuisés par le travail,
Le grand miroir, d’où venait-il,
Redoublant les photos des morts,
Aveuglante beauté
Des choses sacrées par la pauvreté.
Mais, même si le souvenir établit des ponts entre le passé et le présent et entretient dans la mémoire une densité de présence où s’enroche le poème, qui s’apparente à une survivance et empêche l’effacement, le poète n’est pas dupe du pouvoir apparent des mots. Rien n’échappera à la mort, terme inéluctable de toute vie humaine. Détachés des chairs, les souvenirs se décharnent et s’effritent… La certitude de la mort détruit les certitudes illusoires.
L’instant périssable
Ne se retourne pas sur son passé.
J’ai longtemps cru pour mieux rêvasser sans vieillir
Que les mots s’ouvraient sur des vérités.
A tort.
C’est le doute qui enfante.
La mort enseigne l’humilité, qui est de savoir consentir au silence et de savoir jouir des choses simples dans le présent intensément vécu. Pourtant, les mots ne sont pas vains. Au contraire, parce que leur beauté est périssable, la mémoire des instants vécus, thème essentiel et récurrent dans l’œuvre de Marcel Migozzi, justifie l’écriture poétique qui s’apparente à un acte d’amour et de tendresse envers les êtres chers et envers le monde.
Dans le très-haut des arbres
Le silence sans ailes,
Et ces présences oubliées, à terre,
Souvenirs laissés en lichens.
Pourtant le rouge-gorge sans mots chante
« N’oublie pas la beauté »
Eric Eliès
Marcel Migozzi, Lumière plus vive que veuve, Editions Estuaires, 64 p.