En 1961, le jeune Kodock rentre du Cameroun où il vient de terminer l'Ecole d'Administration de Paris (ENA), et titulaire d'un DESS en Sciences économiques.
Arrivé à Yaoundé à 09h venant par avion de Douala, il sera logé à l'hôtel le relais. Le lendemain, il alla rencontré son ministre de tutelle Mohamed Lamine. Il était à ce moment Secrétaire d'État au commerce et l'industrie. Kodock raconte : " Je suis allé le saluer et lui dire que j'étais déjà arrivé. Je l'ai vu autour de 10H ou 11h, et à 13h j'étais nommé Directeur Adjoint des Affaires Économiques. Le même jour".
En 1962, Kodock fut nommé Directeur du Commerce Extérieur à Douala. Sa nouvelle fonction consistait à mettre en oeuvre la politique du gouvernement dans le commerce extérieur du Cameroun. Ce domaine portait encore, selon Kodock, les stigmates de la colonisation. L'indépendance économique du Cameroun était désormais au centre de ses preocupations. Ainsi, Kodock fut nommé au poste vacant de Directeur des Affaires Economiques.
Pour Kodock, il était question de promouvoir une élite d'hommes d'affaires capables de se substituer aux étrangers et de maîtriser le négoce international. Pour ce faire, il procéda à la sélection d'un échantillon de commerçants camerounais dont il proposa les noms au président Ahidjo. On pouvait citer, entre autres : Victor Fotso, Kadji Defesso, Tidjani, Bassirou, Luc Monthé, Paul Monthé, etc.
Pour soutenir son projet, Kodock proposa à Ahidjo un plan d'opérations inédit. En fait, il proposa la nomination de ces hommes d'affaires par décret. Ce qui proposa la réticence d'Ahidjo. Pour lever cet obstacle, Kodock argua que la seule manière d'assurer le succès du processus de nationalisation du commerce extérieur, c'était de signer un decret. D'autant que les négociants étrangers exercaient avec une surface financière que seul l'Etat pouvait accorder aux nationaux. Cet argument en béton battait ainsi en brèche la réticence d'Ahidjo.
A ce sujet, voici l'argumentaire présenté par Kodock :
" il y avait ce qu'on appelait le CTRE (Comité Technique de Répartition). C'était un comité pour répartir les devises à l'importation. Ce comité était dirigé par le Directeur des Affaires Economiques (Kodock). Mais dans la salle, il n'y avait aucun camerounais. Quand je présidait le comité, il y avait des libanais, des grecs, des hollandais. Il n y avait aucun camerounais. Cette situation ne me paraissait pas normale. Nous avons donc essayé de faire un effort pour savoir si dans la communauté d'hommes d'affaires, il ne pouvait pas y avoir des gens pour s'exercer dans l'import-export. Il y 'avait des gens qui étaient riches, qui avaient les moyens. Ce qu'il fallait, c'est qu'ils soient encadrés pour devenir importateurs. Nous avons donc saisi le président de la république par une lettre, pour lui dire qu'à l'heure actuelle, aucun camerounais n'est importateur ni exportateur. Et le Cameroun est indépendant depuis un bon moment. Le présent Ahidjo accepta et signa un décret "
Aussitôt nommés, les nouveaux négociants avaient droit à un appui financier considérable, que Kodock avait la lourde charge de distribuer :
" Nous avons sélectionnés un certains nombre de camerounais de tous les cotés. Il y'avait des ressortissants du Nord et de l'extrême Nord, de l'Ouest...Et cela a fait un bon petit paquet de 15 ou 16 bonshommes qui ont été officiellement accrédités pour bénéficier de la répartition, parce qu'on vous donnait des DEVISES pour que vous importiez des marchandises. Et lorsque par la suite, ayant des dotations des devises, on vous donnait l'entrepôt fictif, comme un moyen de vous permettre d'écouler vos marchandises, et de payer les recettes douanières après. On comprend pourquoi c'est le gouvernement qui a fabriqué les hommes d'affaires. Il faut qu'on soit conscient de cela !"
Un homme d'affaire camerounais s'illustra tout particulièrement dans ce groupe restreint : Fotso Victor. Voici ce qu'en dit Kodock : " Fotso, c'est quelqu'un qui montait et nous tous qui étions jeunes, on l'admirait, on admirait son courage, surtout le jour où il a affronté feu Monthé pour la présidence de la Chambre de Commerce. Nous qui étions jeunes, nous voulions que ce soit Fotso, parce qu'il était jeune. Mais, le vieux lion a fini par s'accrocher et il a été élu. C'était des moments très importants. Il fallait vivre cela".
L'opération d'attribution des devises aux hommes d'affaires camerounais s'effectua en deux temps, à la faveur de deux décrets signés par le président Ahidjo en deux ans. Donc, pendant cette période, le gouvernement avait fabriqué des importateurs camerounais :
" pendant la première livraison, Kadji a reçu pratiquement 200 millions en devises, Monthé Paul a reçu 250 millions en devises, Monthé Luc a reçu quelque chose comme 200 millions. C'est des chiffres que je ne peux pas oublier. Il y avait le propriétaire de l'Aurore aussi qui a reçu une dotation de 60 millions. Il y avait d'autres, Bachirou, Nassirou, Tidjani, des ressortissants du Nord, chacun a eu une dotation de 150 millions"
Cette première phase de l'opération connut un succès relatif, puisque quelques déceptions furent enregistrées. Certains hommes d'affaires, lorsqu'on leur remettait ces devises, " ils allaient trouver la Hollando pour importer les marchandises. Ils n'arrivaient pas à importer eux-mêmes. Ils prenaient les dotations qu'on leur donnait pour aller les remettre à une maison de commerce, soit la Hollando, soit la PZ, alors que nous les fabriquions pour qu'ils deviennent des importateurs. Il y a quand meme eu des exceptions qui ont confirmé qu'on n'avait pas tord. Ce sont les Kadji, les Monthé Luc, Ce sont des exceptions!"
L'année suivante, d'autres hommes d'affaires camerounais furent sélectionnés pour recevoir des dotations en devises, notamment " Fotso et d'autres. Il y avait Tchuisse Mathieu. En tout cas, l'échantillon des hommes d'affaires camerounais officiellement accrédités sur le plan international était là. Je suis très content d'avoir vu que certains ont réellement réussi et sont des références aujourd'hui ".
Kodock fit cette précision de taille : " Je voudrais que le peuple camerounais sache que c'est le gouvernement qui a fabriqué ces hommes d'affaires. Il ne faut pas que quelqu'un dise qu'il s'est fabriqué lui-même. C'est une erreur. "
Ainsi naissait une cuvée de négociant camerounais qui n'avaient fait aucun effort particulier pour être riches. Cependant, il faut reconnaître que leur dynamisme a donné raison à Kodock, en ce sens que c'est précisément eux qui font la fierté du Cameroun dans le domaine du commerce extérieur à l'heure actuelle.
Pour les expatriés qui s'estimaient victimes d'une ignominieuse injustice, Kodock n'était, au mieux, qu'un apprenti-sorcier, au pis, qu'un communiste qui ne disait pas son nom. D'aucuns essayèrent d'exploiter ce qui, en Kodock, leur paraissait être son point faible : sa situation financière. Pour un cadre de son grade qui ne recevait qu'une avance de solde de 60 000 F/mois, l'occasion était propice pour arrondir les angles, en s'offrant de substantiels pots de vin et ce, au détriment de sa fibre patriotique.
Mais, Kodock fit preuve d'une rigueur et d'une intégrité irréductible. Il ne céda point à la tentation de la corruption. Il éconduisit gentiment toutes les offres des expatriés corrupteurs. Pour Kodock, l'avenir du Cameroun se jouait à ce moment, et au regard de ses lourdes responsabilités envers le pays, il ne pouvait pas se permettre de tricher. S'il s'était enrichi de façon illicite, il aurait gravement hypothéqué l'avenir du Cameroun.
Grace à son engagement patriotique, Kodock avait mis au point une stratégie pour l'industrialisation de l'économie camerounaise. Il fallait concrètement identifier les produits de consommation et voir dans quelle mesure on pouvait créer des industries capables de faire contre-poids aux produits importés. Ce fut ainsi sous l'impulsion de Kodock, les sociétés suivantes furent crées : UNALOR, SOSUCAM, CIMENCAM, CHOCOCAM, SOCATRAL, CICAM, SODECOTON, les MINOTERIES, la SEIGNEURIE, l'ONCPB...
Pour Kodock, l'industrialisation et l'indépendance économique du Cameroun était une obsession, il dit : " Pour nous à l'époque, être un pays moderne, c'était avoir les usines. Les jeunes garcons qui faisaient le stage dans la Direction des Affaires Économiques peuvent le rappeler, parce que je n'avais pas l'habitude de peigner la tête. Ma tête était toujours mal peignée. Et quand ils me posaient la question : "pourquoi, monsieur le Directeur, vous n'avez pas peigné la te ?". Je disais : "Foutez-moi la paix, quand je dors je rêve des cheminées'. C'est ce que je disait. Pour moi, c'était la cheminée qui montrait qu'on faisait le progrès. Il fallait donc créer les usines".
NB : Pour aller plus loin lire biographie :
Augustin Frédéric Kodock: L'homme politique camerounais (1933-2011)