Aux discours et aux thèses aujourd’hui savamment élaborées à propos de la méditation, le maître zen préfère l’exercice de la contemplation silencieuse dans une attitude d’accueil.
Contempler quoi ? Accueillir quoi ? Voici l’explication, que donne le bouddha historique, Siddharta Gautama (qui n’était pas bouddhiste) à celles et ceux qui lui demandent ce qu’il fait lorsqu’il se retire dans la forêt pour s’exercer ?
Réponse : « Aña Paña Sati » !
« Aña Paña Sati » ? Cet aphorisme signifie précisément : exercer la pleine attention {Sati} sur le fait ... infaisable, qu’en ce moment j’inspire {Aña} et sur le fait ... infaisable, qu’en ce moment j’expire {Paña}.
C’est tout ? Oui. Et c’est suffisant et satisfaisant ; ce qu’on ne peut découvrir qu’en s’exerçant.
Lorsqu’il était au Japon, pratiquant régulièrement zazen à côté d’un moine zen d’un certain âge, Graf Dürckheim lui demande « Vous pratiquez zazen depuis plus de cinquante ans ; que faites vous au cours de cet exercice après tant d’années de pratique ? »
Connaissant bien son voisin occidental et n’étant plus étonné de ce genre de questions qui caractérise la mentalité de l’homme occidental, c’est en souriant qu’il répond « Ah, il me faut vous dire que c’est difficile. Je fais de mon mieux pour ne rien faire et laisser le souffle aller et venir de lui-même (Aña Paña Sati) et lorsque j’y arrive... tout en moi se calme ! ».
Une autre fois, sortant de l’exercice, ce vieux moine s’exclamait « Quel miracle ! Quel mystère ! ... Je respire ! ».
À ceux qui verraient dans ces confidences du subjectivisme, de l’imaginaire, du sentimentalisme, de l’irrationnel, je propose l’exercice suivant : « Arrêtez de respirer ! ».
Tout en moi se calme !
Le mot CALME, qui n’est pas un mot mais une manière d’être au monde en tant que personne, revient sans cesse dans les indications proposées par les maîtres zen.
Au 6ème siècle, le maître Ch’an Hui-Neng décrit son enseignement en disant : « Ma méthode est le calme et la sagesse. Là où est le calme est la sagesse ; là où est la sagesse est le calme ».
Au 13ème siècle, aux moines qui pratiquent zazen, maître Dogen (fondateur de l’école Soto-Zen) pose régulièrement cette question : « Si vous ne trouvez pas le calme ici et en ce moment, vous le trouverez où ? et vous le trouverez quand ? »
En 1950, dans son premier ouvrage -Le Japon et la culture du silence- Graf Dürckheim écrit : «L’homme occidental n’a peut-être jamais aspiré au calme avec autant de nostalgie ».
Il ne faut pas avoir étudié la sociologie, la psychologie ou être spécialisé dans les sciences du cerveau pour observer que ce qui manque le plus à l’homme actuel est le calme intérieur, la confiance et la simple joie d’être. Il suffit de se regarder, sans faux fuyant, pour diagnostiquer que nous avons pris distance avec notre état de santé fondamental dont ces qualités d’être sont les symptômes.
« Lorsqu’on pratique zazen, le corps prend la forme du CALME ! » ( Hirano Katsufumi Rôshi)
Zazen est différent de la méditation
Lorsque, en 1967, pratiquant zazen depuis quelques mois, je demande à Graf Dürckheim s’il peut me donner une bonne raison pour pratiquer zazen quotidiennement il répond : « Oui, parce que c’est l’heure ! ».
Cette réponse, catégorique (qui, je l’avoue, ne m’a pas immédiatement séduit), engramme d’une manière définitive que l’exercice appelé zazen est pratiqué SANS but. Une autre fois le vieux sage de la Forêt Noire m’avait dit « Si on vous pose la question “à quoi ça sert de pratiquer zazen ?”, répondez : à RIEN ... à rien pour l’ego ! ».
Ne pratiquez pas zazen en étant animé par l’esprit d’acquisition ou l’esprit de performance. Zazen n’a qu’un but : « L’éveil de l’homme à sa vraie nature en tant qu’être humain, à ce que j’appelle son être essentiel ; la vraie nature de l’être humain n’est pas l’ego ».
Il est important de différencier notre moi mondain et notre vraie nature. Ensuite il s’agit de se poser la question, comment unifier ces deux pôles de notre humanité.
Pratiquez zazen SANS but !
Je suis fasciné par la liste des CENT bienfaits promis aux personnes qui pratiqueront la Mindfulness Meditation. Il a dans cette promesse, qui a la saveur des publicités propres à la société de consommation, de quoi éveiller l’intérêt de l’ego toujours avide d’avoir plus, de savoir plus, de pouvoir plus.
« On ne pratique pas zazen pour guérir LE moi qui souffre mais pour guérir DU moi qui est la cause de la souffrance propre à l’être humain » (K.G. Dürckheim).
Méfions-nous de nos représentations mentales lorsque nous entendons un son ; par exemple le son SANS ou le son CENT ! « Le mental ment monumentalement » écrit Jacques Prévert.
Alors ! Pratiquez physiquement zazen ; sans attendre de comprendre comment faire zazen. « Qui va me permettre de comprendre comment faire zazen ? Qui va me permettre de comprendre à quoi bon pratiquer zazen ?» Ces questions, il est vrai, trahissent la mentalité de l’homme occidental. Lorsque vous pratiquez un exercicecomme zazen, le tir à l’arc, l’art du thé, la calligraphie, l’Aïkido, le maître de l’art (à ne pas confondre avec ce qu’on appelle un coach) vous invite, tout au début de votre entraînement, à remplacer le verbe -comprendre- par le verbe ... AVALER. Parce qu’il ne s’agit pas de comprendre un exercice afin de pouvoir le faire. Il s’agit de l’intégrer. Tous les enfants, autour de leur premier anniversaire, se mettent à marcher. L’enfant n’attend pas de comprendre comment faire un pas pour le faire ; il fait ce que jusque-là il était incapable de faire. L’enfant (que nous avons été) apprend à marcher en marchant ! On apprend zazen en pratiquant zazen.
Alors ? Faites-le ! Sans attendre de comprendre comment et pourquoi. Une fois assis, intégrez physiquement cette action qui engage le tout corps vivant que vous êtes dans sa globalité et son unité. Contemplez l’acte de respirer ; ce geste infaisable – signature de la vie qui nous fait vivre-. « En ce moment, pour ce moment, j’inspire ... et moi je n’y suis pour rien ! En ce moment, pour ce moment, j’expire ... et moi je n’y suis pour rien ».
Je vous souhaite bon entraînement !
Jacques Castermane
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