Plus de 3000 planteurs de tabac du département de la Kadey réclament des centaines de millions d'arriérées de leurs productions collectées par certaines sociétés commerciales depuis des années et dénoncent le jeu trouble du ministère de l'Agriculture et du développement rural.
" Personnellement, j'exige la somme de 1.350.000 francs Cfa. Qu'on arrête la duperie. Beaucoup de nos parents sont morts abandonnant ces attestations de part social et les bulletins de collecte de tabac sans payer dans les valises ", s'indigne un planteur rencontré à Batouri. Comme lui, nombreux sont ceux qui dénoncent aussi la tentative de destruction de la filière par le ministère de l'Agriculture et du développement rural (Minader). C'est d'ailleurs l'objet d'une réunion de crise organisée à Batouri le 17 mai 2020 par les producteurs du tabac du département de la Kadey, la plus grande zone de production à l'Est. Au terme de leur réunion, ils ont adressé un mémorandum au préfet de la Kadey relatif à l'assainissement de la filière tabac et amélioration des conditions des planteurs. " Nous planteurs, venons par le présent mémorandum vous présenter nos multiples frustrations dont nous sommes victimes depuis toujours par les opérateurs de la filière. L'approvisionnement en intrant, le suivi des activités et l'achat des produits ont toujours été biaisés par les sociétés ", écrivent les planteurs au préfet de la Kadey en insistant sur " les mauvaises conditions de travail des planteurs, la surestimation des coûts des outillages offerts, le bas prix du kg du produit acheté, l'abandon de certains produits et le paiement tardif et irrégulier des dettes de la part des sociétés ".
Sur les dettes dues aux planteurs particulièrement, les délégués des Gics des producteurs et les chefs traditionnels des zones de production présents à la réunion de Batouri ont estimé à plus de 500 millions les dettes réclamées par environ 3000 producteurs auprès des sociétés commerciales notamment la Fédération des producteurs des tabacs et autres produits vivriers du Cameroun (Fptc) qui n'a pas payer les produits collectés entre 2012 et 2015 auprès des planteurs. Contacté à ce sujet pour réagir, Jean Marc Sambha'a, Administrateur provisoire de la Fptc estime pour sa part que " les planteurs ont exagéré, seule la récolte de 2015 estimée à 150.000.000 francs Cfa n'a pas été entièrement payé. Le ministre de l'Agriculture et du développement rural avait promis lors du comice agropastoral de l'Est en décembre 2020 de donner une subvention de 50.000 000 francs Cfa pour permettre à la Fédération de payer cette dette et 40.000.000 francs Cfa pour les arriérées de salaire du personnel de la Fédération, soit une somme de 90.000.000 francs Cfa ".
La délimitation des zones décriée
En dehors des arriérées réclamées aux sociétés commerciales, les planteurs des tabacs ne sont pas d'accord avec le zonage imposé par le Minader. " En dépit de ce mauvais traitements que nous subissons, nous avons pris connaissance avec indignation du compte rendu de la rencontre de certains opérateurs de la filière tabac présidée par le ministre de l'Agriculture et du développement rural en date du 21 décembre 2020 à Bertoua. Nous, producteurs étant acteurs principal de la filière tabac avons été exclus de ladite rencontre. Cette exclusion est une destruction de la filière tabac au regard des mesures prises à ladite rencontre, principalement, la délimitation du périmètre d'action des compagnies autour des centres de traitement acquis, une délimitation d'un périmètre d'intervention de 50 kilomètres ", écrivent les planteurs au préfet en rappelant à l'autorité administrative qu'" au lieu de chercher à remédier aux problèmes des producteurs, les concernés cherchent plutôt à empirer notre situation en ignorant la loi N0 95/11 du 25 juillet 1995 en son article 1 qui dispose que : " la commercialisation des produits de base est ouverte aux entreprises régulièrement constituées et aux organisations crées par les producteurs et aux unités locales de transformation. Autrement dit, la commercialisation des produits de base est libre. Ainsi dans l'alinéa 2 du même article, la loi interdit la concession en monopole des zones d'achat ainsi que l'attribution des quêtes réservées à des opérateurs de ces produits. L'article 8.2 de la même loi interdit également les ententes entres les acheteurs ou leur organisation en vue d'imposer un prix unique aux producteurs ".
Restructuration des projets et programmes
Malgré les dispositions de la loi évoquée plus haut, Romio Mpoack, délégué départemental du Minader de la Kadey a tenu une réunion avec les sociétés commerciales en écartant les planteurs le 25 mai 2021 à Batouri. Il était question d'insister sur le respect de la délimitation des zones instaurées par le Minader. Une décision contestée par certaines sociétés tabacoles. Notamment Cameroon Golding Wrapper et Tobecam qui dénoncent la violation de la loi sur la commercialisation des produits de base qui interdit la concession en monopole des zones d'achat ainsi que l'attribution des quêtes réservées à des opérateurs de ces produits. Pour certains observateurs, la réapparition du Minider pour délimiter les zones et donner une subvention de 90.000.000 de francs Cfa à la Fédération pour payer ses arriérées des produits collectés auprès des planteurs suscite la curiosité. " Je suis très surpris d'entendre que le Minader va octroyer une subvention pour les arriérées des planteurs et les salaires d'une société parce que le Minader n'intervient plus dans le secteur ", regrette, Pierre Koéké, ingénieur des travaux agricoles et expert dans la production du tabac.
A ce sujet en effet, par décision No00026 du 17 février 2020, le ministre de l'Agriculture et du développement rural a procédé à la restructuration des projets et programmes financés par le budget d'investissement public (Bip) et le Fonds de développement du café-cacao (Fodecc). Parmi les 13 projets dont les activités ont été arrêtées définitivement figure le Projet national d'appui au développement du tabac et des plantes stimulantes, logé à la délégation régionale du Minader à Bertoua. Pour mettre en application cette décision, les responsables centraux du Minader sont venus récupérer le véhicule utilisé par le personnel sur le terrain.