"Qui se ressemble s'assemble", dit le gros titre
Dans la bataille féroce qui fait rage à un peu plus de 3 mois des primaires de mi-mandat, prévues en septembre, Página/12 sort ce matin un scoop concernant les scandales qui entachent le mandat de l’ancien président Mauricio Macri, suspecté de diverses malversations dont plusieurs sont maintenant attestées par des documents difficilement contestables et que vient de confirmer la fuite inattendue d’une de ses éminences grises, un étrange avocat qui a demandé l’asile politique à l’Uruguay (où il semble bien qu’il ne l’obtiendra pas).
Il y a une dizaine de jours, la fuite de Fabián Rodríguez Simón, dit Pepín (ci-dessus), a été évoquée par toute la presse et tout l’arc politique, non sans gêne à droite car personne ne peut sans rougir approuver la lâcheté de ce comportement, sauf Macri lui-même qui parle de chasse aux sorcières et donne raison à son ancien conseiller d’avoir cherché refuge à l’étranger. Puis, tandis que Página/12 continuait à battre ce fer tant qu’il était chaud, le reste de la presse, plutôt de droite, passait à d’autres sujets, la querelle de l’ouverture de l’école en plein confinement à Buenos Aires constituant d’ailleurs un formidable motif pour remplir les pages des quotidiens d’autres thématiques. Or "Pepín" est soupçonné d’avoir mené de sombres opérations pour compromettre les principales figures de l’opposition, qui par ailleurs étaient sous écoutes illégales, et d’avoir monté de toutes pièces contre elles des dossiers judiciaires. Au moment de sa fuite à Montevideo, l’homme était sans doute sur le point d’être convoqué par les juges pour de premières auditions désagréables.
Or Página/12 vient d’avoir accès aux agendas officiels du bonhomme et de Mauricio Macri lui-même alors qu’il était président (on se croirait en plein dans une enquête de Médiapart ou du Monde). La rédaction en fait sa une ce matin, à la veille d’un déconfinement plus que précoce, contestable et contesté dans la ville de Buenos Aires, toujours terriblement affectée par l’épidémie. Le journal a analysé les informations qu’ils contiennent et montre, reproductions de certaines pages à l’appui, que des réunions secrètes se sont tenues entre l’ancien président et son conseiller, notamment à l’étranger, en particulier à New York en marge de rencontres avec Christine Lagarde au FMI,, et que le second prenait en Argentine et à l’étranger des contacts qui n’auraient pas dû être de son ressort, ce qui tend bien à prouver l’existence de manœuvres pas très catholiques, surtout quand ces données sont rapprochées du calendrier des opérations judiciaires intentées contre Cristina Kirchner, ses proches, ses ministres et ses conseillers sous la présidence de son successeur et opposant ainsi que de l’identité des magistrats qui sont alors intervenus dans ces dossiers (pas vraiment des militants de gauche).
Mauricio Macri a-t-il eu vent de l’imminente sortie de cette enquête explosive ? Peut-être. A-t-il voulu faire diversion ou allumer un contre-feu ? Ce n’est pas impossible car il était hier soir l’invité exclusif d’une très célèbre émission de télévision, La Noche de Mirta Legrand, sur Canal 13, une chaîne commerciale de droite.
La
Noche de Mirta Legrand
se présente comme un dîner chichiteux et ampoulé, qui ne ressemble
en rien à ce qu’il se passe ordinairement dans les foyers
argentins où l’on regarde l’émission : fleurs sur la table
(en
marbre, vrai ou faux),
argenterie, jeux de verres en cristal pour l’eau et le vin,
vaisselle clinquante,
service à l’assiette et en gants blancs, menus aussi prétentieux
que dans un restaurant européen trois étoiles au Michelin, avec les
mêmes petites portions dans un pays où il
est pourtant d’usage de servir les
convives avec une générosité pantagruélique.
Cette impudence du luxe inaccessible et du raffinement frelaté fait sans doute rêver le public. Il est possible aussi
que tant de splendeur l’impressionne et qu’elle l’écrase à
peu près autant que l’apparence toujours spectaculaire de la
présentatrice. Mirta Legrand, qui a plus de 90 ans, affecte en
effet d’en avoir cinquante de moins à grand renfort de fards et de
tenues extravagantes, tout en fourreaux, paillettes, strass, boas et
couleurs écarlates, façon reine d’Angleterre (bijoux compris). Au
début de la pandémie, cette vedette hors d’âge a laissé sa
place au haut-bout de la table à sa petite-fille, Juana Viale, qui a
repris l’émission de Mémée telle quelle : même décor,
même style artificiel au-dessus des moyens du téléspectateur tant
par le service, le contenu de l’assiette et les tenues des
convives, même parti-pris idéologique et même positionnement
partisan, résolument de droite. Notez aussi qu’alors que, dans la
vraie vie, tous les restaurants sont fermés pour le commun des
mortels au risque de mettre la clé sous la porte et que les
Argentins ont interdiction de s’inviter les uns chez les autres
afin de limiter l’expansion de la maladie, au studio, on continue à
bâfrer comme si de rien n’était (1).
Photo tirée de l'émission d'hier
Hier, Mauricio Macri était donc le seul invité et il a eu toute latitude pour s’exprimer sans contradicteur. Les sujets qui fâchent vraiment (comme les questions entourant le scandale Pepín) n’ont pas été abordés. Au propre et au figuré, l’animatrice s’est contentée de lui servir la soupe avec la même élégance affectée que sa grand-mère. Dans ces conditions confortables, l’ancien président ne s’est pas gêné pour faire le panégyrique de sa gestion des affaires publiques, pour discréditer ad libitum son successeur et l’actuel gouvernement qui se démènent, malgré la pandémie, pour sortir le pays de la dette contractée par lui-même sur la fin de son mandat auprès du FMI et pour justifier tout ce qu’il voulait comme il le voulait, y compris sa récente et très polémique vaccination dans une pharmacie de Miami avec le mono-dose de Johnson & Johnson, en contradiction avec certaine promesse faite aux Argentins quelques mois plus tôt sur Twitter.
Or, chose curieuse, dans ces conditions idéales pour soutenir la campagne électorale de son camp et marteler ses arguments, il a laissé paraître des doutes. Il a en effet déclaré : « je suis pessimiste à court-terme mais optimiste pour le long terme ».
Un aveu de défaite avant même la tenue des élections ? Avouez que c’est plutôt inattendu à ce stade de la campagne...
© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com
Pour
aller plus loin :
lire l’article complémentaire de Página/12Il n’est pas fait mention de cette affaire dans les autres titres de la presse quotidienne, qui ne parlent plus de Pepín depuis environ une semaineSur l’émission de Canal 13 :lire l’article (doucement ironique) de Página/12
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
Les trois journaux ont choisi d’intégrer dans leur site Internet des extraits de l’émission.
(1) En Europe, les plateaux de télévision se sont presque tous adaptés à la règle générale et les émissions avec repas, comme C à Vous sur le service public (France 5), ont rangé les assiettes au placard en attendant des jours meilleurs.