Noyé dans le labyrinthe des renvois, consécutif à l'incapacité du ministère public à rassembler des preuves (accablantes) contre le mis en cause, le dossier de l'ex ministre délégué à la présidence de la République en charge de la Défense s'apparente à s'y méprendre, à une saga judiciaire mal ficelée. Evocations !
A quand la fin de ce spectacle juridico-judiciaire? Jusqu'où s'acheminera le procès (Kafkaïen) d'Edgar Alain Mebe Ngo'o ? Sur quel nouvel imbroglio doit-on surfer pour contenter l'opinion publique, assoiffée de voir tous les " braqueurs " de la fortune publique rendre gorge ? Le rouleau compresseur est-il tombé en panne sèche à mi-chemin ou est-ce une nouvelle pause avant de nouvelles accusations ?
Toutes ces questions sont devenues le lot quotidien de tous ceux qui suivent l'affaire de l'ex Mindef, écroué depuis plus deux ans à la prison centrale de Kondengui pour une affaire de détournement présumé de fonds publics, dans le cadre de l'achat de matériels militaires pour l'armée camerounaise, du temps où il était ministre de la Défense. C'est à croire que plus le temps passe, trouver des éléments pour davantage noircir son casier, devient un véritable casse-tête chinois pour certains de ses pourfendeurs, animés par le désir de le voir rester le plus longtemps possible derrière les barreaux.
Sinon comment comprendre que pour une affaire inscrite dans le cadre de l'opération Epervier, on en soit encore à cogiter sur les différentes pièces à reverser dans le dossier près de cinq mois après le premier procès.La série de renvois relatifs à ce dossier en est une parfaite illustration. L'Examination-en-chief du principal accusé (Mebe Ngo'o) a débuté mardi dernier devant le juge. Pour l'occasion, Me Koe Amougou, avocat de Mebe a consacré la séance sur l'acte d'accusation de " violation du code des marchés publics dans la convention Polytechnologies ayant causé à l'Etat un préjudice d'un montant total de 196.800.000.000 Fcfa ". L'on apprendra que cette accusation ressort des documents produits par le Contre-AmiralNsola.
Cet officier qui soutenait que l'ex Mindef avait, sans l'accord du président de la République, et sans en avoir qualité, modifié les termes du Memorandum of understanding (Mou) par divers avenants du contrat commercial non autorisés, en introduisant des matériels des Sapeurs-pompiers et de la Gendarmerie, pourtant pris en compte dans le budget du 20 mai 2013. Nsola soutenait également que Mebe Ngo'o avait signé le marché, en le fractionnant en violation du Code des marchés et qu'il avait mis le chef de l'Etat devant le fait accompli.Des griefs que le conseil du mis en cause a pris le soin de balayer du revers de la main.
Fidèle et loyal envers le Chef de l'Etat Prenant la parole, l'ex Mindef s'est d'abord offusqué, dans son propos liminaire, de l'illégalité de son assignation à résidence surveillée du 4 février au 5 mars 2019. " Il m'a semblé utile qu'à l'entame de cette phase du jugement, que je vous dise que de par mon éducation, ma formation, les responsabilités qui m'ont été données d'assumer dans le passé, j'ai toujours été, et je demeure respectueux des institutions de la République. Je tiens à ce que cela soit su afin que nul n'en ignore. J'ai toujours et je demeure fidèle, loyal, déférant en la personne du président de la République qui incarne ces institutions. En plus de ce respect, et à travers les responsabilités que j'ai assumées, j'ai œuvré à la protection de ces institutions. C'est la raison pour laquelle depuis deux ans et deux mois que nous sommes en détention, mon épouse et moi avons mis un point d'honneur à obtempérer. Silencieux et stoïques, à toutes les sollicitations de la Justice, et à montrer l'exemple que nul n'est au-dessus de la loi ", a confié l'originaire du département du Dja et Lobo. Ce dernier va également condamner les comportements inhumains vécus par son épouse, sortie deux fois de l'hôpital pour être emmenée en prison, non sans rappeler les deux tentatives d'assassinat dont il a été victime.
Tentatives d'assassinats
" Lorsque mon épouse rejoint la prison, on la sort manu militari d'une clinique de la place. Ses perfusions lui sont retirées. On l'emmène en prison où, s'il vous plait, elle a failli décéder. Par la suite, ayant été l'une des premières victimes du Covid-19, elle est conduite à l'hôpital centrale de Yaoundé. Après 10 jours, elle est encore sortie et brutalisée par les éléments de l'administration pénitentiaire, devant les regards ahuris du personnel médical. (...) J'ai échappé à deux tentatives d'assassinat. J'ai été ministre délégué à la Présidence de la République chargé de la Défense et je sais de quoi je parle. La première, au cours des émeutes survenues le 22 juillet 2019 à la prison centrale de Kondengui. La deuxième, le 04 février 2021 ", argue-t-il. Tout en rappelant au collège des juges, le caractère secret défense qui devait entourer le dossier en cours, Mebe Ngo'o, avec force détails et un important lot de documents admis dans la procédure, va démonter toute l'accusation. Plus important, il va relever que le MOU était un document d'ordre général " non engageant " qu'il avait signé le 12 janvier 2011, sur haute instructions du président de la République à la suite de l'audience que celui-ci avait accordé au Vice-Premier ministre chinois accompagné des présidents d'Eximbank Chine et de Polytechnologies.
Par la suite, il avait été mis en mission officielle en Chine à la tête d'une délégation comprenant le chef d'état-major des armées, les chefs d'état-major centraux et la gendarmerie et un Officier de l'état-major particulier du président de la République, avec des ordres de mission signés par l'actuel ministre d'état garde des sceaux, alors ministre d'état Sgpr. Mebe Ngo'o a relevé qu'il avait, en plus, les pleins pouvoirs signés par le Chef de l'Etat, qui lui permettaient d'engager le Cameroun et sans lesquels il n'aurait pas pu signer le contrat commercial le 4 avril 2011 à Pékin.
Le jeu trouble du ministère public
Pour éviter de verser dans le dilatoire, l'ex Directeur du Cabinet civil de la présidence de la Républiqueva présenter au tribunal le MOU, le contrat commercial et ses 4 avenants, ainsi que l'arrêté ministériel créant le comité de suivi et le comité technique du projet. Tous ces documents revêtus du visa de la présidence de la République. Mebe Ngo'o s'est étonné de ce qu'un Mindef qui ne peut aller à Mbalmayo sans autorisation formelle du Chef de l'Etat, ait pu aller jusqu'en Asie, en clandestin engager le Cameroun et " mettre le Président devant le fait accompli " selon le réquisitoire du ministère. Il n'a d'ailleurs pas manqué de relever de dire que penser qu'un Mindef avait mis le président devant le fait accompli était une déclaration très grave et légère.Dans la foulée, de nombreux documents, portant sur la conduite et l'exécution de ce projet par les différents ministériels sectoriels ont été produits par Me Koe Amougou. Mebe Ngo'o a terminé en affirmant qu'il n'avait " jamais signé ni fractionné un marché ", mais qu'il avait signé un contrat commercial avec 4 avenants tous autorisés par le président de la République et que ce contrat a été exécuté et réalisé entièrement et de manière conforme. Par ailleurs le remboursement de cette dette arrive à échéance en 2022.
Au regard de tout ce qui précède, il y a donc lieu de se demander comment le ministère public a pu requérir sur la seule base des accusations d'un homme, fût-il Contre-Amiral, sur une affaire aussi grave et sensible. Comment le ministère public, qui répond de la chancellerie tenue par un ancien Mindef signataire de certains marchés en cause, a pu requérir sur la poursuite d'un ex Mindef qui aurait engagé l'Etat, sur un tel montant, sans l'accord du président de la République ? L'instruction de ce dossier a-t-elle été à charge et à décharge ? Si oui, comment la justice n'a pas pu avoir accès à tous les documents relatifs à la conduite de ce dossier ? Pourquoi et comment ? Que cache finalement cette procédure contre Mebe Ngo'o ? Et qui a eu cette idée d'engager une procédure dans l'armée, surtout de manière aussi légère ? Rendez-vous le 23 juin !