Dès l’entrée dans la salle, on saisit qu’il y a là du secret : les grandes feuilles de papier ne sont protégées d’aucune vitre et notre regard y touche à l’essentiel, un silence habité. « Où qu'ils naissent, si cachés qu'ils soient, ils ne s'occupent qu'à accomplir leur expression : ils se préparent, ils s'ornent, ils attendent qu'on vienne les lire ». C’est pour cela qu’ils sont écrits. Une mine de graphite, trait après trait, menée par une main qui engage tout le corps, trace la forme, emplit peu à peu l’espace sans jamais le saturer, invite le mouvement à peine perceptible, déplie, ondule, invente le geste même qui les crée. Croître et faner, croître à nouveau, chaque feuille d’un blanc très doux accueille ce mouvement. Chaque feuille de papier est faite de fibres végétales. Les dessins de Laurence Gossart y sont chez eux, s’y développent. « L’expression des végétaux est écrite, une fois pour toutes. Pas moyen d’y revenir, repentirs impossibles : pour se corriger, il faut ajouter ». Et la lumière qu’elle invite en lui laissant la place, en lui offrant des ouvertures, sait courber la surface, entrelacer les lignes, dans un souffle discret, un mouvement sans fin, une voluptueuse vitalité. « On tourne le dos pendant quelques jours, une semaine, leur pose s'est encore précisée, leurs membres multipliés. Leur identité ne fait pas de doute, mais leur forme s'est de mieux en mieux réalisée ». Et il y a ce que l’artiste nomme L’étoffe de mon monde, cette boîte, source d’un rouleau de papier sur lequel se déploie le dessin de végétaux courant de vague en vague en un drapé qui, une fois sorti de sa réserve, ne saurait être interrompu.
(Les citations proviennent du livre de Francis Ponge, Le parti pris des choses)