Alors oui, certes, en effet, le Français est quelque peu ponctionné par-ci par là. Certes, son parcours quotidien est semé de taxes, ponctions, accises, amendes et autres impôts dont il doit s’acquitter, parfois sans même s’en rendre compte. Certes. Mais le Français peut s’enorgueillir d’en avoir pour son argent, pardi !
Ainsi, il est maintenant de notoriété publique que les services régaliens de l’État sont largement assurés, et qu’au delà de l’indispensable, le nécessaire, l’utile et le superflus sont même amplement couverts : les administrations de sécurité, de santé, d’éducation et d’accompagnements sociaux mobilisent avec brio des masses considérables de pognon gratuit des autres d’argent public pour offrir un service toujours mieux étudié aux populations dont les besoins ne cessent de croître.
C’est donc avec une totale stupéfaction qu’on apprend que, parfois, ces mêmes administrations rencontrent de petites anicroches qui amoindrissent l’excellence de leurs prestations : en République du Bisounoursland, il semble en effet absolument invraisemblable que de telles erreurs voient le jour, mais force est de constater que le monde tel que nos énarques l’envisagent est parfois bien chafouin et ne peut s’empêcher d’introduire quelques malices.
L’actualité laisse cependant poindre quelques étonnantes nouvelles dont la répétition et l’accumulation forcent à se demander s’il n’y aurait pas dans ces petits soucis comme un problème plus général.
On est ainsi en droit de se demander comment prendre avec sérieux les chiffres de Santé Publique France concernant les cas de Covid-19 lorsqu’on apprend que ces derniers ont été, pendant des mois, largement surestimés de plus de 10% : certains patients, se faisant tester plusieurs fois, ont été compté comme des patients différents par l’algorithme de pseudonymisation. Apparemment, la correspondance entre le pseudonyme dépendait de la casse des caractères du nom ou prénom du patient qui pouvaient varier d’un établissement de test à l’autre. C’est ballot.
De tels petits soucis arrivent, que voulez-vous.
Mais voilà, il arrive qu’ils se répètent : alors que l’aspect légendaire de la précision du calcul des retraites français est connu dans le monde entier, alors que les administrations en charge de verser leurs pensions à nos anciens sont reconnues et louées pour leur humanité, leur efficacité, leur sens du devoir et leur amabilité, on découvre, toujours aussi abasourdi, qu’un dossier de retraite sur six comporterait une erreur de calcul selon la Cour des Comptes, et dans les trois quarts des cas au détriment du pensionné. Dans un cas sur dix, cette erreur revient à raboter les pensions distribuées de plus de 1000€ par an ce qui, au regard des pensions moyennes tournant actuellement autour de 1400 euros, représente plusieurs dizaines d’euros par mois carottés discrètement.
La Cour des Comptes, dont la justesse des constats – jamais remis en question – est inversement proportionnelle à leur impact sur les finances publiques et les us et coutumes des administrations concernées, se permet une analyse sans fard de la situation :
« Année après année, cette situation traduit une efficacité déclinante des dispositifs de maîtrise des risques de la branche vieillesse et l’absence de mise en œuvre par la Caisse nationale d’assurance vieillesse d’actions efficaces à même de redresser ses résultats dans le domaine du paiement à bon droit des retraites. »
Comprenez ici que la situation se dégrade, et vu l’historique des comptes-rendus de la Cour des Comptes, on peut raisonnablement tabler sur un enterrement du rapport sans fleurs ni couronne. Autrement dit, ça va continuer tranquillou.
Ces erreurs d’algorithmes ou de calculs de pensions pourraient passer pour des péripéties improbables en République du Bisounoursland, le pays du lait et du miel, mais il s’impose malheureusement comme un schéma d’ensemble lorsqu’on continue d’éplucher les remarques de la Cour des Comptes. Elle en profite en effet, sur le sujet plus général des comptes de la Sécurité sociale, pour aboutir à la conclusion qu’elle ne pourra pas les certifier tant tout ceci tient d’un bricolage sans queue ni tête.
Les comptes des URSSAF sont incertifiables, la branche maladie, avec deux milliards de remboursement maladie en trop, ne le sera pas davantage et les prestations de la Caisse d’allocations familiales comportent 10% de versements par erreur. Si l’on y ajoute le constat de la branche retraite en déroute, le tableau ne fait guère rêver.
Ici, certains pourraient être tentés de croire que, malgré ces quelques errements, les administrations françaises ne s’en sortent finalement pas trop mal : alors que nous venons de traverser un épisode particulièrement délicat de pandémie puis de gestion gouvernementale particulièrement hasardeuse de cette dernière, que le règne du « quoi qu’il en coûte » s’est rapidement transformé en « faites pleuvoir des billets ! » sans la moindre vergogne, le fait que le pays semble continuer, malgré tout, à fonctionner représente probablement l’un de ces petits miracles dont il faut se réjouir.
Malheureusement, les apparences sont d’autant plus trompeuses qu’on ne paie jamais immédiatement les effets d’un crédit exorbitant : la vraie facture n’a pas encore été présentée, seules ses prémices sont pour le moment palpables avec un début d’inflation et une hausse notable des faillites. Le délitement, plus profond, de toutes les administrations, de tous les services publics, s’il est pourtant visible pour qui veut se donner la peine de regarder, n’est pas encore clairement accepté par la masse et encore moins par les dirigeants dont une prise de conscience signifierait probablement une fuite rapide.
Même les impôts commencent à accumuler les problèmes, puisque des milliers de Français vont ainsi devoir payer plus d’impôts que prévu suite à des erreurs dans les algorithmes (dantesques) qui pilotent le calcul de l’impôt français. Ayant jusqu’à présent réussi à repousser sur les entreprises les difficultés ubuesques du prélèvement à la source, on arrive progressivement au bout des camouflages et des ajustements que Bercy doit réaliser pour plumer les oies sans les faire crier.
On est en droit de se demander combien de temps l’édifice fiscal français pourra tenir alors que les rentrées se font plus délicates, les sorties augmentent, les déficits explosent tous les records et la compétitivité du pays continue de dégringoler…
Eh oui, il faut se résoudre à l’évidence : pour mille milliards de prélèvements, de nos jours, on ne fait pas grand chose de bien. Les routes ne sont pas mieux entretenues que lorsque les prélèvements étaient moitié moins hauts, les hôpitaux ne sont pas moins débordés, les forces de police ne font pas mieux leur travail – loin s’en faut, les trains ne roulent pas plus vite (au contraire) et n’arrivent pas mieux à l’heure (c’est l’inverse), la sécurité sociale ne rembourse pas mieux mais moins bien, moins souvent et pour un nombre de plus en plus réduit d’actes, les retraites sont de plus en plus étiques et maintenant pleines d’erreurs, et nos têtes pas toutes blondes ne savent plus lire ni écrire… Bref, c’est la déroute.
Les services publics sont minimaux, désagréables et de moins en moins compétents, on n’en a plus du tout pour l’argent prélevé, et, de surcroît, les administrations se plantent dans leurs calculs.
Forcément, ça va bien se terminer.
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