Dans une émotion libératrice autant qu’indécente qui rappelait les grandes heures de l’après-guerre, les Français se jetaient goulument sur des allemandes houblonnées, afin d’être les premiers à retapisser Instagram de ce bonheur gustatif retrouvé. Et de dire : »J’y étais ! ». Certains de leurs grands-parents, qui avaient de bonnes raisons de se réjouir il y a 75 ans, se contentaient dans le même temps d’une deuxième tournée d’Astra Zeneca pour pouvoir envisager l’été plus sereinement.
Si cette pandémie nous a fait perdre tout repère et toute notion de bienséance, l’hystérisation du débat médiatique n’a pas attendu les variants ouzbèques ou polynésiens pour venir polluer nos journaux quotidiens. Depuis que la fachosphère à pris le contrôle des antennes, chaque sujet devient potentiellement plus inflammable qu’un étudiant précaire aspergé de vodka-pomme devant son dortoir délabré. La sélection de Benzema d’abord, qui rappelle ô combien ses détracteurs sont nostalgiques des colonies françaises, mais moins de leurs enfants qui portent le maillot bleu. Si l’on avait dû écarter tous les grands joueurs qui ne chantent pas la Marseillaise, cet hymne guerrier qui a 230 ans, l’équipe évoluerait sûrement au niveau du Lichtenstein, qui peut se targuer, elle, de n’avoir que des joueurs blancs. Ou alors faire composer un hymne plus moderne, plus enclin à rassembler tout le monde, par Michel Sardou ou Vianney, qui plaisent à une grande partie de la droite cap-ferretiste. Qu’un son impur abreuve nos microsillons !
De musique, ou presque, il en était d’ailleurs question ce week-end à l’heure du grand raout boursouflé de l’Eurovision. Aussi improbable que la victoire de Lille devant le PSG en Ligue 1, la France terminait 2e d’un concours où elle se ridiculisait patiemment depuis 1977 ! Du coup, galvanisés par ce podium inédit, les ardents défenseurs du bon goût musical à la française, s’en allèrent chercher des poux aux gagnants italiens, accusés de prendre de la drogue comme de vulgaires Marco Pantani des ondes FM. Au-delà de leur sobriété établie, remercions-les surtout pour ce retour du rock à une heure de grande écoute, quand la France des Choristes et d’Amélie Poulain se plonge encore dans le formol piafesque pour se donner une crédibilité musicale. Toujours dans les bons coups, Hanouna criait au scandale et, sans preuves aucunes, en appelait à Emmanuel Macron sur Twitter, pour faire gagner dignement notre candidate déchue. Un grand moment de ridicule, qu’on espérait plus depuis le bannissement de Donald de la plateforme au piaf bleu.
Son ami Bigard lui, aboyait de son côté sur des journalistes autant que sur les labos pharmaceutiques, pauvre pitre complotiste devenu harangueur de foules lobotomisées, sorte de Dieudonné du pauvre (au moins lui reste encore un génie comique), dont on finit par apprécier les vieilles blagues graveleuses qui animaient nos fins de repas familiales dans les années 90. Mais dans une époque où les gens n’ont plus d’humour, juste des craintes infondées, on peut continuer à éructer tranquillou en attendant le poste de Ministre de la Culture d’un gouvernement d’extrémistes. Au programme : fermeture définitive des théâtres et des salles de stand-up, écoles Francis Lalanne dans tous les villages de France. Et tout le monde au gnouf, comme en Biélorussie !
Quant à Darmanin, toujours dans l’élégance et la demi-mesure, ses attaques contre Audrey Pulvar auront encore une fois élevé le débat, dans un pays où l’on ne peut plus critiquer les fachos en uniformes qui polluent la police et l’armée, mais où un ancien humoriste insultant des ministres sur Twitter et des journalistes face caméra passe crème.
On est bien.
Reste plus qu’à Benzema de marquer le but de la victoire contre les Belges en finale de l’Euro, aux chanteurs français de prendre un peu plus de drogues et aux complotistes de se faire vacciner, au moins contre l’hystérie. Au risque de connaître une année 2022 bien pire que les 2 dernières.