Et si la Révolution du 25 Mai s’était faite par Zoom (Article n° 6600) [Actu]

Publié le 25 mai 2021 par Jyj9icx6

Au matin pluvieux du 25 mai 1810, les élus municipaux de Buenos Aires se réunirent d’urgence au Cabildo, l’hôtel de ville d’Ancien Régime, après une semaine d’agitation politique dans toutes les classes sociales de la capitale du Vice-royaume du Río de la Plata. Ils voulaient trouver une solution acceptable pour le peuple qui rejetait les résolutions votées trois jours plus tôt par l’assemblée des notables de la ville.

Le 18 mai, la ville avait reçu une très mauvaise nouvelle : le gouvernement provisoire espagnol qui depuis Séville luttait contre l’occupation française tout en mettant en place une politique libérale était tombé quatre mois plus tôt et avait été remplacé par un Conseil de Régence qui s’était installé à Cadix, le grand port qui régnait sur le commerce colonial. N’acceptant pas de passer sous l’autorité politique et administrative d’un groupe lié aux donneurs d’ordre qui faisait vivre son économie sans lui laisser voix au chapitre, la ville tentait à son tour de doter le vice-royaume d’institutions temporaires de gouvernement pour attendre que la situation s’améliore en Espagne, que le roi Fernando Ⅶ soit libéré de sa captivité en France et rentre dans son pays pour y établir le régime libéral tant espéré.

Telles étaient les illusions dont se berçaient alors les partisans de la liberté en Amérique du Sud.

C’est donc ce tournant de son histoire que l’Argentine fête aujourd’hui, sa principale fête nationale. Comment faire autrement, à ce stade de mon article, que de vous renvoyer à la description que j’en ai donnée dans un chapitre de la biographie de Manuel Belgrano, publiée l’année dernière (Manuel Belgrano – L’inventeur de l’Argentine, Éditions du Jasmin).

Ce matin, sur le site de Página/12, le dessinateur Miguel Rep a souhaité imaginer ce qu’aurait été ce grand événement s’il avait fallu se réunir en visioconférence comme doivent le faire actuellement les Argentins, retournés à un régime de confinement très strict pour lutter contre la montée de l’épidémie. Historiquement c’est complètement faux, tout est emmêlé mais c’est la légende. Un peu comme dans un film historique de Sacha Guitry !

Cliquez sur l'image pour une haute résolution


L’animatrice de la réunion (qui ressemble furieusement à une enseignante devant sa classe) : « Vous m’entendez ? »

« Le peuple veut savoir de quoi on parle » (les échevins s’étaient enfermés à double tour et le peuple avait envahi les couloirs du Cabildo pour tâcher de faire pression)
« A bas le vice-roi ! »
« Voilà que se lève le soleil du 25 mai » (il a fait un temps de chien toute la semaine et bien plus tard, on inventa cette phrase pour évoquer l’aube de la liberté, avec en prime un petit clin d’ œil au soleil d’Austerlitz) (1)
« Cornelio de Saavedra, ton micro est fermé ». A la fin de la journée, Saavedra devenait président de la Primera Junta, le premier collège gouvernemental accepté par le peuple de Buenos Aires.

Traductions et commentaires © Denise Anne Clavilier

© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com

Les autres quotidiens célèbrent cette date fondatrice du pays de façon plus classique : avec des articles historiographiques où ils reprennent sagement les thèmes traditionnels traités de manière traditionnelle. Un véritable rite patriotique, en Argentine. On y apprend jamais rien de vraiment nouveau. Página/12 a cette singularité d’oser aborder le sujet avec originalité (et humour).

Pour aller plus loin :

lire l’article de La Prensa sur les acteurs (masculins) de la Révolution (il y aura une suite, sans doute demain)
lire l’article de La Prensa sur les actrices de la Révolution (à l’aube de l’émancipation, dit le titre)
lire l’article de La Nación sur la Semaine de Mai 1810, dont le 25 fut l’aboutissement politiquelire l’article de La Nación sur les membres de la Primera Junta

(1) Quand l’Ambassade d’Argentine en France m’a invitée à donner cette conférence où je ferai, vendredi prochain, une présentation parallèle de Napoléon et de San Martín, elle n’a pas été prise d’une soudaine fantaisie. La comparaison entre les deux héros révolutionnaires date d’il y a très longtemps. Elle était déjà venue à l’esprit des contemporains du vivant de Napoléon, vers l’année 1820, et elle n’a fait que s’imposer de plus en plus au fil des décennies.