L’adaptation des Déracinés en bande dessinée ne m’a pas surprise. Catherine Bardon en avait le souhait dès l’origine.
Il était logique qu’au fil des salons (car à l’époque le Covid ne les avait pas encore condamnés) elle rencontre au hasard des signatures un bédéiste dont elle partagerait les goûts pour une nature tropicale.
Ce fut Winoc (photo ci-contre) au salon de Bondues, en 2019. il ne la connaissait pas mais tout s’est enclenché très vite en l’espace de deux-trois mois car Phileas a donné son feu vert sans attendre. Cette nouvelle maison d’édition de BD de genre associe les éditions Jungle et le groupe Editis.
Catherine ne maîtrisait pas tous les codes de la bande dessinée mais elle avait envie de transposer elle-même tout le premier tome. La collaboration s’est installée dans une confiance mutuelle. Elle avait beaucoup de documentation. Lui n’était jamais allé en République dominicaine mais il avait réalisé un album, en auto édition, sur l’Équateur, et le caractère végétal de sa réalisation plaisait beaucoup à Catherine.
Les deux partenaires se sont vite mis d’accord pour reprendre les moments forts du roman. Leurs seuls points de divergence a concerné d’une part le désir de Catherine d’en dire le plus possible et surtout les visages des héros. Catherine avait en tête des portraits très finalisés, en particulier pour Almah, blonde aux yeux bleus. Winoc a souvent entendu ses protestations : ah non, ils ne sont pas beaux. Il a donc fait preuve de diplomatie pour lui démontrer combien la beauté affadit les expressions. La bande dessinée, quand elle est réussie, est presque à la limite de la caricature. Il n’empêche que je les trouve très beaux, notamment p. 49.
Je rappelle que c'est l'histoire d'un couple de jeunes juifs de Vienne persécutés comme tant d'autres à partir de 1936 et obligés du quitter l'Autriche fin 1938, après l'Anschluss et la Nuit de Cristal. Leur errance va les mener à Sosuà, en République Dominicaine, seul pays à avoir ouvert ses frontières après la conférence d'Evian, précisément à Sosuà, où se déroule la seconde moitié de la BD qui est aujourd'hui une station balnéaire, mais qui à l'époque, en 1940, n’existait pratiquement pas. Fort heureusement un musée de cette aventure existait aussi, dont le fond est disponible en ligne.
Le résultat est là, satisfaisant pour tous les deux, et pour nous aussi car elle apporte quelque chose de différent au texte du roman. Néanmoins je ne conseillerais pas de lire les deux versions dans la foulée. Il faut espérer atteindre avec ce média les collégiens et les lycéens qui, ensuite, auront peut-être envie de lire la saga dans son entièreté (ce n’est pas un rêve inaccessible). Cette miette de l’histoire, comme le dit Catherine avec beaucoup de justesse, mérite que la jeunesse y soit sensibilisée.La couverture est magnifique. C’est une des premières qui a été adressée à l’éditeur qui l’a retenue parmi huit propositions. Winoc a de multiples projets en cours, notamment une autre adaptation de livre. S’agissant de cette quadrilogie, dont il a lu les trois premiers, il n’est pas certain qu’une bande dessinée soit nécessaire pour chacun mais il pourrait songer à un album spécifique qui tirerait un fil, par exemple celui de la vie d’Almah. Qui sait si Catherine n’aurait pas la même intention…
Une chose est sûre, et je la tiens de sa bouche, il retravaillerait volontiers avec elle sur ce projet, ou sur un autre.
Les Déracinés, scénario Catherine Bardon, dessin Winoc, couleurs Sébastien Bouët, Phileas, en librairie depuis janvier 2021D’après le roman éponyme de Catherine Bardon, paru en 2017 aux Escales, en 2019 chez Pocket