Rappelons tout d'abord de quoi il est question derrière cette terminologie. Une génération émergente d'outils promet aux organisations de créer des applications informatiques sans programmation (« no code ») ou presque (« low code »), grâce à une automatisation plus ou moins poussée de la rédaction du code. Au lieu d'écrire des instructions dans un langage spécialisé, il suffit de dessiner les interfaces souhaitées et de décrire les comportements désirés par assemblage graphique de briques élémentaires.
Toutes les institutions financières, dont les métiers dépendent fortement de leur système d'information, s'intéressent de près aux opportunités de ces nouvelles technologies et quelques-unes ont déjà franchi le pas de l'adoption. Les pionnières sont généralement de petites entités qui voient là le moyen de soutenir la course concurrentielle des services en ligne malgré leurs moyens limités. Au sein de ce paysage, Sabadell est une des premières grandes enseignes qui envisage une stratégie agressive en la matière.
Notons tout de même que, à ce stade, sa transition est embryonnaire. Sa trajectoire a débuté avec la formation de 5 étudiants de l'université d'Alicante, destinés à devenir les défricheurs du sujet. Pourtant la vision est prête : l'utilisation extensive du « low code » sera promue pour la modernisation des systèmes internes en voie d'obsolescence, avant une extension vers les solutions mises à la disposition des personnels en agence. En revanche, les applications destinées aux clients sont écartées, pour l'instant.
Les bénéfices mesurés jusqu'à présent justifient apparemment l'optimisme de l'entreprise et la politique agressive qu'elle esquisse pour l'avenir. Selon ses évaluations préliminaires, le temps de développement des logiciels web et mobiles – considérés comme les plus propices à ces usages – serait réduit d'environ 30% grâce au recours à la plate-forme retenue (dont l'origine n'est hélas pas précisée). Les responsables affirment en outre que des gains sensibles seraient également observés dans les phases de maintenance.
Mais derrière le tableau idyllique se dissimulent quelques incertitudes qui devraient tempérer l'enthousiasme. Par exemple, que penser réellement du ratio de 30% évoqué ? Sans être négligeable, il paraît finalement assez faible en regard de l'automatisation supposée. L'exemple donné de réalisation d'un écran (d'application) en 80 heures au lieu de 110, en moyenne, fournit l'explication : les tâches les plus longues d'intégration, de test, de validation… ne sont pas affectées et atténuent l'avantage.
Par ailleurs, bien que la raison officielle exprimée touche, de manière diplomatique, à la minimisation des risques, le choix de réserver le « low code » aux logiciels internes reflète certainement l'incapacité des outils actuels à générer des interfaces du niveau de qualité et de sophistication attendu par des clients. En arrière-plan, c'est la faiblesse principale des solutions disponibles qui transparaît : seules des fonctions relativement simples et standardisées peuvent être vraiment prises en charge sans programmation.
Il reste enfin à revenir sur un argument extrêmement pertinent : en confiant ses premiers projets à des étudiants, Sabadell démontre aussi sa préoccupation vis-à-vis du marché de l'emploi. Les banques traditionnelles connaissent en effet des difficultés à recruter les meilleurs talents informatiques et la possibilité de déléguer les opérations basiques à des débutants laisse espérer libérer le temps des plus aguerris afin qu'ils travaillent sur les composants définissant sa valeur ajoutée. Mais seront-ils à la hauteur de l'enjeu ?
En synthèse, les approches « low code » n'offrent, à ce jour, qu'une réponse tactique à des tensions profondes dues à l'explosion de l'informatique dans tous les domaines de l'économie. Or, à ce titre, leur mise en œuvre doit être soigneusement réfléchie et encadrée. À défaut de planification à long terme, elles se transformeront rapidement, comme d'autres technologies (de RPA, par exemple), en fardeau historique (le fameux « legacy »), de plus en plus lourd à porter, qui finit toujours par paralyser l'entreprise.