Les méthodes alternatives d'évaluation de la fiabilité des consommateurs existent et sont mises en œuvre depuis des années, mais ces implémentations ressortent généralement d'initiatives ponctuelles, qui, après leurs premiers pas chez de nouveaux entrants (géants du web ou FinTech), commencent tout juste à trouver une (petite) place dans les établissements historiques. Même les tentatives de diversification des fournisseurs de scores (Experian, par exemple) semblent rencontrer peu de succès.
Face à l'injustice de l'exclusion, particulièrement redoutée par l'administration en cette période d'incertitudes économiques, le régulateur fédéral (OCC) a demandé aux banques d'industrialiser ces approches. Plusieurs grandes enseignes, parmi lesquelles figurent JPMorgan Chase, U.S. Bank et Wells Fargo, concoctent donc aujourd'hui leur réponse, qui prendra la forme d'une estimation du risque de défaut à partir du comportement financier du client, sur la base d'une analyse de ses transactions courantes.
La technique retenue est désormais considérée comme éprouvée : le contrôle de la régularité de paiement des factures, l'absence d'incidents de gestion (découvert, chèque refusé…), la maîtrise des dépenses au quotidien…, lorsqu'ils sont correctement appréhendés, sont des indicateurs fiables du sérieux d'un individu avec son budget. En revanche, la nouveauté que les projets en cours introduisent est le partage d'information entre les banques. Une sorte d'institutionnalisation d'un usage de l'« open banking ».
Les participants songent en effet à instaurer des mécanismes standardisés d'accès aux comptes des clients afin de faciliter le déploiement de leurs systèmes. Ainsi, par exemple, un quidam sollicitant un prêt auprès de Wells Fargo pourra donner de la visibilité sur son compte détenu auprès de Bank of America dans le but de passer les filtres d'éligibilité. Une telle coopération serait du jamais vu dans le secteur. Une autre option envisagée consisterait à recourir à un service d'agrégation, comme celui de Plaid.
N'allez cependant pas croire que l'industrie soit soudain frappée d'un élan de responsabilité sociale. Outre l'injonction des autorités, elles sont motivées par un phénomène indépendant : dans le sillage de la crise sanitaire et de son impact sur les habitudes de dépenses de la population, la carte de crédit subit depuis quelques mois un fort déclin, à la fois en volume de transactions et en montants d'encours (les utilisateurs soldent leurs dettes), entraînant une baisse inquiétante des marges des émetteurs.
Ce n'est pas un hasard si les applications des nouveaux modèles de calcul de risque évoquées par les banques s'orientent en priorité dans cette direction, bien que la carte de crédit ne soit probablement pas l'instrument dont aient le plus urgemment besoin les personnes laissées sur le bas-côté du système financier. Si rien n'est fait pour contrôler cette tendance, les efforts gouvernementaux, loin de contribuer à la réduction des inégalités, menacent d'ouvrir une boîte de Pandore du surendettement…