L'éveil à la présence est d'abord intérieur, "entre deux pensées". Ensuite, cette même présence est perçue en présence des pensées, puis la présence même des pensées est cette présence, comme les vagues sont de l'océan. Les pensées sont peu à peu transformées au cours de ce chemin mystique, ce chemin muet. Ce qui sort de la bouche n'est plus obstacle, mais manifestation vraie de cette vérité qui est présence avant toute pensée :
"Dès cette vie même, lorsque l'âme est consommée dans l'unité et que cette unité ne peut plus être interrompue par les actions du dehors, il est donné à la bouche du corps une louange qui lui est propre, et il se fait un accord admirable de la parole muette de l'âme et de la parole sensible du corps, qui fait la consommation de la louange. L'âme et le corps rendent une louange conforme à ce qu'ils sont.
La louange de la seule bouche n'est pas une louange, ainsi que Dieu le dit par son Prophète : 'Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est bien éloigné de moi'.
La louange qui vient purement du fond, étant une louange muette, et d'autant plus muette qu'elle est plus consommée, n'est pas une louange entièrement parfaite, puisque l'homme étant composé d'âme et de corps, il faut que l'un et l'autre y concourent.
La perfection de la louange est que le corps ait la sienne, qui soit de telle manière que, loin d'interrompre le silence profond et toujours éloquent du centre de l'âme, elle l'augmente plutôt ; et que le silence de l'âme n'empêche point la parole du corps, qui fait donner à son Dieu une louange conforme à ce qu'il est. En sorte que la consommation de la prière, et dans le temps et dans l'éternité, se fait par rapport à cette résurrection de la parole extérieure, unie à l'intérieur."
Madame Guyon, Explication du Cantique des cantiques, dans Œuvres mystique, p. 343, édité par Dominique Tronc
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Il y aurait beaucoup à dire sur ce discours admirable. "Dès cette vie même" évoque la "liberté en cette vie même" (jîvanmukti) du shivaïsme du Cachemire. "Le silence toujours éloquent", expression qui revient sous la plume de la Dame Directrice, évoque le silence éloquent de Ramana Maharshi.
Surtout, elle affirme clairement que l'individu est âme et corps : la perfection doit donc participer des deux. Plus précisément, l'extérieur sans l'intérieur n'est qu'hypocrisie, pharisaïsme. Mais l'intérieur sans l'extérieur n'est pas non plus parfait, car cette exclusion implique que la parole, la pensée, soit encore vécue comme obstacle au silence. La perfection, l'expérience complète, est quand la parole extérieur (ou la pensée "intérieure") exprime autant qu'elle le peut le silence intérieur. Telle est la véritable non-dualité, qui n'est pas exclusion de la dualité (la pensée), mais transmutation de la dualité qui devient alors adéquate à son essence silencieuse. L'extérieur (la dualité) se fait alors "louange" de l'intérieur (l'unité).
Madame Guyon parle d'une "résurrection de la parole extérieure", de la dualité, mais cette fois sur fond d'unité.
Mais certes, cela demande d'abord une "mort" complète de toute l'âme en sa source une. Puis l'âme craint d'interrompre ce silence ineffable en parlant. Il est vrai que la tendance à parler est infiniment plus forte chez la plupart des individus. La tendance à rester muet intérieurement est bien rare.
Cependant, Guyon ajoute :
"Mais comme l'âme, qui est accoutumée au silence profond et ineffable, craint de l'interrompre, c'est ce qui fait qu'elle a quelque peine à reprendre cette parole extérieure. Et c'est ce qui oblige son Epoux, afin de lui faire perdre cette imperfection, de l'inviter à faire entendre sa voix."
Outre la louange, une autre œuvre de cette parole extérieure qui célèbre le silence intérieur, est le partage avec les autres âmes :
"Il l'invite aussi à parler aux âmes des choses intérieures, et leur apprendre ce qu'elles doivent faire pour lui être agréables. C'est une des principales fonctions de l'épouse que d'instruire et d'enseigner l'intérieur aux amies de l'Epoux, qui n'ont pas autant d'accès auprès de lui.... Voilà donc ce que l'Epoux désire d'elle : qu'elle lui parle et de cœur et de bouche, et qu'elle parle aussi aux autres pour lui." id.
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Ne pas laisser l'intérieur tarir dans un extérieur excessif, bien sûr. Mais ne pas non plus garder la lumière sous le boisseau. Car tout, dans la vie intérieure, est communication, relation, échange, circulation et flux.