Parfois l'un ou l'autre de mes contacts me gratifie d'un article, une vidéo, un billet de blog traitant - le plus souvent traitant - du vin avec quelques mots en mode : " L'as tu vu, et qu'en penses-tu ?".
Là, il s'agissait de deux articles parus dans le numéro d'avril de la Revue des Oenologues.
Une revue que je lis assez régulièrement, et dans laquelle il m'est même arrivé de publier.
Enfin ... il s'agissait de ces articles, mais le point de départ était leur utilisation sur les réseaux sociaux.
En particulier avec la réaction reproduite ci contre, et les réponses qu'elle entraîna.
Je me méfie, a priori, de la surinterprétation systématique que certains font de publications dont ils pensent qu'elles pourraient conforter leurs convictions ou leur plan comm.
Donc là je me méfie.
Tout comme je me méfie - toujours a priori - d'un article intitulé : " Comment la greffe nous a empêchés de penser".
Mais les articles, il y en a deux.
Le premier est :
"Bilan et perspectives après 150 ans de greffe de la Vitis vinifera sur les espèces américaines.Il est signé de Mario Fregoni qui est rien moins que Président honoraire de l'OIV !
Le retour à la vigne franche de pied est-il possible ?"
Que nous dit M. Fregoni ?
Enfin ... moi, qu'ai je lu et compris de son article ?
car j'imagine que d'aucuns n'en feront pas la même lecture.
Certaines choses me laissent perplexe.
Par exemple le stupéfiant :
"La vigne possède deux cerveaux : le plus grand dans les apex radicaux (à l'extrémité des racines) et l'autre dans les apex des pousses et dans les pépins. Celui qui est dans le feuillage domine le cerveau du feuillage de différentes façons."
Un cerveau dans les racines, un dans les poussses et un dans les pépins çà doit faire 3. - "
Mais quel que soit le nombre il est abscons. Le soutien de la biologie à la viticulture franche de pied"
En clair trouver un prédateur du phylloxéra.
Cette "solution" fut promue par JP Mazaroz, en pleine crise phylloxérique.
Avec le succès que l'on sait.
Mais on peut recommencer à chercher. A ce stade il semble toutefois très optimiste de compter sérieusement sur cette option.
- " La chimie comme support à la viticulture franche de pied".
Il est évident que depuis le sulfure de carbone la chimie à fait de grands progrès. Il est tout aussi évident que la chimie est de plus en plus mal acceptée.
Cette piste semble donc, comme celle des OGM, des plus hasardeuses quant à son acceptabilité (à supposer qu'une molécule efficace soit découverte).
- " L'apport hydrique à la viticulture franche de pied".
Façon polie de suggérer d'en revenir à la submersion des vignes.
Ca fera plaisir aux palmipèdes et permettra, d'ailleurs, de revenir sur les terroirs à palmipèdes car cette méthode n'est pas franchement adaptée à la viticulture de côteaux !
- " La densité de plantation et la vigne franche de pied".
De quoi s'agit-il ?
De ceci :
"On peut envisager de planter 13000 à 22000 pieds à l'hectare en remplaçant les manquants par des boutures racinées, de préférence avec des greffons de deux ans ayant une tige à hauteur du premier fil".Autrement dit : on plante en grand surnombre, le tout en mode open bar pour le phylloxéra, et on remplace les ceps au fur et à mesure qu'ils passent de vie à trépas.
Never ending story.
Il va falloir des pépinières considérables. Et des budgets qui le sont tout autant, car on ne ferait rien d'autre que courir après les dégâts de l'insecte ... en espérant ne pas se laisser distancer.
Alors quoi ?
Alors selon l'auteur :
"Dépoussiérer le franc de pied signifie avoir du courage"et, de mon point de vue, au vu des pistes envisagées, une capacité à l'abstraction se rapprochant dangereusement du rêve éveillé !
Et ce même si selon M. Fregoni :
"Soigner une pandémie comme celle du phylloxéra avec des moyens dépassés signifie ne pas avoir confiance en la science".
C'est donc sur cet article (qui donne des pistes me laissant perplexe) que rebondit M-A Selosse avec son :
"Comment la greffe nous a empêchés de penser".
Ainsi, la vigne possède deux cerveaux ?
Il doit s'agir d'une image, une allégorie, un genre de licence poétique.
Mais quelle qu'en soit l'explication je ne la vois pas, pas plus que je ne comprends la préence de ce genre de propos dans une revue qui s'anonce fièrement :
"revue des oenologues et des techniques vitvinicoles et oenologiques".Je passe rapidement sur l'image retenue par ailleurs : les excroissances qui " provoquent une sorte d'infarctus" et me contente de relever qu'il semble donc qu'en plus de deux cerveaux, la vigne soit dotée d'un muscle cardiaque.
On en apprend tous les jours.
Quant à savoir sur quoi se fonde le :
"Heureusement, dans le bourelet de la greffe, le tissu de soudure qui se forme au niveau des deux sections et en particulier au niveau de la vinifera, empêche le passage entre les racines et les grappes, de certains composés indésirables des espèces américaines."
Empêchés de penser ?
Il est vrai que nous n'avons qu'un cerveau, contrairement à la vigne qui, comme chacun sait, en est richement dotée.
L'entame de M-A Selosse me chagrine franchement en ce qu'il se pose en biologiste mais argumente en refaisant l'histoire, voire en la modifiant à son gré.
"On peut dire que les introductions successives de l'oïdium, du mildiou puis du phylloxéra, issus d'Amérique, furent un premier effet de la globalisation."
Rappels historiques par ordre chronologique :par l'importation des vignes américaines sauvages pour lutter contre l'oïdium et le phylloxéra qui lui sont donc antérieurs !
- première apparition de l'oïdium : 1847
M-A Selosse se trompe lorsqu'il écrit :
"Ironie du sort, le phylloxéra fut sans doute ramené sur les racines de Vitis américains importés pour étudier leur résistance à l'oïdium et au mildiou"Le reste est malheureusement à l'unisson.
Le si long encadré consacré à " La Reine Rouge" de Lewis Carrol ne semble être là que pour donner du crédit aux étonnantes théories évolutionnistes de M-A Selosse.
Car selon lui, avec le greffage :
"on fige ainsi les cépages et [...]on ralentit l'évolution de la vigne face à ses pathogènes".Mais quels sont donc les fondements de cette étonnante assertion ? d'autant qu'elle revient à nouveau dans son texte :
"[le greffage] a bloqué l'évolution de nos cépages ... alors qu'en face, les parasites exotiques continuent à évoluer et à s'adapter à nos cépages."Greffer un cépage reviendrait donc à le pétrifier ?
Car c'est bien ainsi qu'il enchaîne :
"Pétrifiée face à l'ennemi, notre vigne est une cible immobile pour ses pathogènes, et nous compensons en traitant !"Au delà du fait que cette phrase est ridicule, tout particulièrement dans un contexte qui se veut scientifique et technique, il convient peut-être de rappeler deux faits attestés dès les premiers traités de viticulture :
les vignes en franc de pied étaient multipliées par bouturage (exit la diversité),
et sujettes à des attaques qui bien que moins diversifiées qu'aujourd'hui n'en étaient pas moins létales (d'autant qu'on ne traitait pas ... tout simplement parce que l'on n'avait acun moyen de le faire).
Le pire reste à venir :
"Mais nos cépages, propagés de façon non sexuée par greffage, ne nous donnent accès qu'à la mutation : leur vitesse d'évolution a pris un coup de frein terrible, alors qu'arrivaient des pathogènes nouveaux."C'est absurde.
Une sélection massale visant à planter des francs de pied est, elle aussi, une multiplication asexuée. Tout comme notre bon vieux provignage !
Que propose -t'il ? de planter des pépins ? sérieusement ? mais ce serait un non sens absolu, tant du point de vue historique qu'agronomique !
A propos de non sens :
"Car la greffe rapproche les qualités des deux parents"Ben non.
A nouveau non.
N-O-N.
Y a pas de parent, ni d'enfant d'ailleurs.
Donc pas de rapprochement des parents et de leurs qualités.
Il y a une variété fruitière qui vit sur un porte greffe. Chacun de son côté, mais l'un profitant de l'autre.
Quant au plaidoyer sur l'hybridation ... que dire sinon que jusqu'à présent elle n'a rien donné de convaincant, mais que les travaux se poursuivent.
Quant à la reproduction sexuée ... ce serait se retrouver dans la situation des parents qui prient pour que leur rejeton ait les yeux de sa mère et le nez de son père, et surtout pas l'inverse.
Ca peut donner le résultat attendu. Ou pas.
Plutôt "ou pas".
Il serait fastidieux de continuer ainsi, alors je passe directement à la fin :
"Adieu Versailles ; adieu la tour Eiffel !"Bonjour tristesse.
- première apparition du mildiou : 1878 ...