Engagée fin septembre 2007, à la demande du chef de l'Etat, la « revue générale des prélèvements obligatoires » conduite par la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, a abouti à une stratégie de réforme organisée autour de trois grands axes, consignés dans un « document d'orientation sur les évolutions de la politique fiscale ». Ils forment les piliers de la stratégie fiscale d'ici à 2012. Christine Lagarde les dévoile dans une interview aux « Echos » : équité fiscale, efficacité environnementale, efficacité économique. Elle se prononce pour un plafonnement des niches fiscales dès 2009, estime qu'il faut « davantage de malus » écologiques que de bonus, et assure que la réforme de la taxe professionnelle est « une question de volonté politique ». Les contraintes budgétaires limitent cependant les ambitions du gouvernement. Il n'y aura pas de « grand soir fiscal », prévient Christine Lagarde pour qui « la priorité absolue n'est pas de baisser les impôts » mais d'« éliminer le déficit public ».
A quelles conclusions êtes-vous arrivée au terme de votre « revue générale des prélèvements obligatoires » ?
Je l'ai rappelé mercredi en Conseil des ministres, la politique fiscale est un outil très important de la politique économique. Elle l'est d'autant plus que la politique monétaire est fixée, pour l'essentiel, par la Banque centrale européenne, et que la politique budgétaire est aujourd'hui très contrainte par la situation des finances publiques. Le contexte économique et financier que nous connaissons exclut un grand soir fiscal tout autant que l'instauration de dégrèvements d'impôts massifs. Nous devons raisonner à taux de prélèvements obligatoires constant. Cependant, dans les semaines qui viennent, nous allons formaliser trois orientations, qui seront mises en oeuvre dès le projet de loi de Finances pour 2009. La première est celle de l'équité fiscale. Je souhaite que nous traitions la question des niches et de leur plafonnement. Le deuxième principe consiste à traduire dans la fiscalité les engagements du Grenelle de l'environnement piloté par Jean-Louis Borloo. Dans ce domaine, je pense que l'Etat doit être plus coercitif qu'incitatif, en sanctionnant les mauvais comportements. En clair, il faut instaurer davantage de malus que de bonus. Troisième orientation, enfin, la compétitivité des entreprises. Nous souhaitons concilier le retour à l'équilibre des finances publiques en 2012 avec une politique fiscale en faveur de la compétitivité des entreprises. Je pense en priorité à l'engagement du président de la République de supprimer l'IFA, l'imposition forfaitaire annuelle des entreprises. Nous devons mettre la bonne fiscalité au bon endroit.
Concernant les niches fiscales, êtes-vous favorable à un plafonnement et, si oui, lequel ?
Ainsi que je l'avais dit au printemps, je réfléchis au moyen de plafonner les niches qui ne le sont pas encore, au cas par cas. S'agissant des exonérations accordées dans les DOM-TOM, je souhaite une remise à plat. On ne peut plus tolérer que certains contribuables exploitent ces dispositifs dans des proportions relevant de l'inéquité, pour ne pas dire de l'abus. Mais je ne compte pas en rester là. Nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur un plafonnement global malgré la question constitutionnelle. C'est un sujet qui me paraît politiquement juste. Et plus efficace que l'instauration d'un impôt minimal. Nous devons aussi envisager une limitation des niches dans le temps. Je pense notamment à certains dispositifs destinés à soutenir l'investissement locatif.
Allez-vous instaurer dès l'an prochain une taxe carbone ?
Pour faire suite au Grenelle de l'environnement, nous réfléchissons, avec Jean-Louis Borloo, à la mise en place d'une taxe kilométrique pour les poids lourds qui traversent l'Hexagone, en généralisation de ce qui est prévu pour l'Alsace. A l'horizon de 2010, celle-ci pourrait rapporter 1 milliard d'euros par an, ce qui permettrait de financer les nouvelles infrastructures de transport. Nous envisageons également de « verdir » certains dispositifs existants, comme le prêt à taux zéro dans l'immobilier. L'avantage fiscal qui lui est attaché pourrait être majoré pour les logements à haute performance énergétique.
D'ici à 2012, à quels autres impôts allez-vous toucher ?
Notre stratégie fiscale va être entièrement tournée vers la compétitivité de nos territoires et de nos entreprises. Nous allons donc réviser les valeurs locatives, c'est-à-dire le calcul de l'assiette des impôts locaux. Sur ce sujet, comme sur celui de la taxe professionnelle, j'ai l'intention de travailler en amont, dès la rentrée, avec les associations d'élus locaux et les professionnels, en copilotage avec la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie.
Comment va précisément s'appliquer la révision des bases locatives ?
L'idée que je défends auprès des collectivités locales consiste à basculer graduellement vers la valeur vénale des biens, au fur et à mesure de leur vente et de leur rachat. Pour éviter une rupture d'égalité devant l'impôt, il faut sans doute fixer une date butoir, de façon à revoir la valeur de tous les biens soumis aux impôts fonciers, y compris ceux qui font rarement l'objet de transactions, comme les logements sociaux. J'espère entamer le processus en 2009, en le faisant figurer dans le collectif budgétaire de cette fin d'année.
Que voulez-vous faire de plus qui n'ait déjà été tenté sur la taxe professionnelle ?
C'est une question de volonté politique. La taxe professionnelle française est une exception en Europe. Nous travaillons sur l'assiette, là encore, en cherchant à ne pas pénaliser l'industrie sans pour autant accabler les services, et sans pénaliser l'emploi non plus. En septembre, nous aurons un rapport d'étape qui doit faire un premier bilan du plafonnement à la valeur ajoutée instauré en 2006.
L'impôt sur les sociétés sera-t-il lui aussi modifié ?
Il n'est pas prévu de toucher à cet impôt qui n'est plus vraiment un sujet de compétitivité fiscale après la réforme du crédit d'impôt recherche.
Etes-vous satisfaite des premiers résultats de l'exonération d'ISF pour les sommes investies au capital de PME ?
Grâce à cette mesure, c'est au bas mot 1 milliard d'euros qui aura été investi dans le financement des PME, presque deux fois plus que ce qui était prévu. C'est la preuve que, bien orienté, l'outil fiscal peut aider au développement et à la compétitivité de nos entreprises. La moitié de ce milliard a été investi par apport direct, l'autre par le biais de holdings ou de fonds communs de placement.
Vous concevez la politique fiscale à pression fiscale stable : cela veut-il dire que l'engagement de Nicolas Sarkozy de baisser le taux des prélèvements de 4 points en dix ans n'est plus d'actualité ?
La mission que j'ai reçue du chef de l'Etat et du Premier ministre est de bâtir une stratégie fiscale à taux de prélèvements obligatoires constant. D'ici à 2012, la priorité absolue est d'éliminer le déficit public, elle n'est pas de baisser les impôts. La situation de nos finances publiques nous l'interdit.