Dis-moi qui te hante. Apollinaire m'aura hanté toute ma vie, mais plus encore dans ces jours où j'écris.
François Sureau écrit pendant le premier confinement: Paris est vide. Le sien était parcouru au contraire des grands courants humains de la victoire.
La différence aussi, c'est l'épidémie. Celle du virus couronné n'est pas comparable à cette grippe espagnole qui a fait plus de morts que la Grande Guerre.
C'est cette redoutable épidémie qui a emporté Apollinaire à Paris le 9 novembre 1918, deux jours avant que ne soit signé l'armistice avec les Allemands.
Si l'auteur a choisi de profiter de ce temps où il ne pouvait rien faire d'autre, c'est parce qu'il a voulu se rendre plus proche de lui qu'il ne l'a jamais été:
Enfermé, je ne pouvais plus voyager que dans son souvenir et je m'en suis trouvé heureux.
Car Ma vie avec Apollinaire n'est pas une biographie comme les autres. Ce sont des éléments de biographie de l'auteur et du poète qui s'y trouvent mêlés.
Ce témoignage d'amitié n'est pas l'oeuvre d'un spécialiste de la vie d'Apollinaire. Il remonte les moments de sa vie comme les mourants revoient la leur:
C'est ainsi que je vais vous raconter celle de Guillaume Apollinaire, des hasards de la maladie aux hasards de l'origine: une fin comme un commencement pris dans le mystère.
Ce livre amical - sans doute cela explique-t-il cela - est, plus que bien d'autres, lucide sur Apollinaire. Il faut dire sinon qu'il y a de quoi se perdre à le suivre:
Il voulait la vie dans les marges et cherchait les plus classiques des consécrations. Il aimait le monde ancien et attendait impatiemment le monde nouveau.
Apollinaire est fantaisiste mais il est inquiet. Il peut être sévère mais il est incapable de haïr. Il reste enfant mais se laisse aller au dérèglement de tous les sens.
François Sureau ne cite aucun des poèmes de son ami: Si je devais commencer, j'arrêterais aussitôt d'écrire. Ils sont tout ce que nous avons cherché dans l'amour:
Il attendait de grandes choses du monde nouveau, il les a attendues jusque dans la guerre. Lorsque ce monde se faisait trop dur, il espérait le transformer par l'art et l'oublier dans l'amour.
Aujourd'hui, de faire disparaître le monde le gouvernement a réussi le tour de force, d'autant plus spectaculaire qu'il est prosaïque et n'a pas rencontré de révolte.
Mais François Sureau, d'une curiosité inlassable et d'une érudition joyeuse, surprenante et libre, comme son ami d'autrefois et de toujours, n'est pas près de se résigner:
Je resterai fidèle à l'école de Guillaume Apollinaire. J'ai aimé, et je continuerai d'aimer, ce monde qui a disparu. Je l'aimerai avec ses inventions, ses formes nouvelles, ses horreurs et le bien qui travaille malgré tout au secret de la pâte. Il est là ce royaume présent au milieu de nous et dont il avait par bien des manières désiré s'approcher.
Francis Richard
Ma vie avec Apollinaire, François Sureau, 160 pages, Gallimard
Livres précédents chez le même éditeur:
L'or du temps (2020):
- Livre I, Des origines à Draveil
- Livre II, Mystiques parisiennes
- Livre III, Mes cercles dérangés
Sans la liberté (2019)