À la mort de sa mère, Charlie Rizzo déménage chez son père Matt, à Chicago. Matt est devenu aveugle soit disant après un accident de chasse lorsqu'il était jeune. À l'adolescence, alors que Charlie prend le chemin de la délinquance et risque de se retrouver en prison, Matt décide de raconter à son fils sa véritable histoire. Nous entrons alors dans un univers carcéral qui, sous la plume du dessinateur Blair et dans les mots de Carlson, prend la forme d'un récit empli de poésie qui montre la puissance de la littérature. L'un des sujets du livre, la rédemption, prend tout son sens dans la relation entre Matt et son co-détenu, Nathan Leopold, un criminel qui a échappé à la peine de mort. L'enfer (La divine comédie), de Dante, sert de fil conducteur à l'évolution de la relation des deux hommes et symbolise en particulier l'acceptation par Matt de sa situation (sa cécité et sa condition). La prison de Stateville, dans l'État de l'Illinois, figure l'enfer par son architecture panoptique (type d'architecture carcéral circulaire), permettant un contrôle total sur les prisonniers.
« Quand je me suis documenté, j'ai regardé des images représentant l'Enfer de Dante. Matt était dans un centre carcéral, qui était une prison panoptique, à Stateville, dans l’état de l'Illinois. C'est Jérémy Bentham qui a eu l'idée d'une conception architecturale et sociologique de telle façon qu'on puisse observer tous les résidents de façon centralisée. Matt Rizo était dans une petite cellule, et c'était un enfer pour lui, et il s'est retrouvé dans sa cellule avec Nathan Leopold, criminel tristement célèbre. »
David L. Carlson, tiré d'une entrevue sur France Inter.
Le grand talent de conteur de Matt (et de scénariste de David L. Carlson) permet à Charlie d'assembler certains morceaux manquants du puzzle de sa vie. La relation entre le père et le fils en ressortira grandie, même si le fils n'accepte pas le mensonge.
Tout est parti de l'amitié de Charlie Rizzo et de David L. Carlson, et à l'origine, le scénario écrit par Carlson devait prendre la forme d'une pièce de théâtre. Puis, Carlson a rencontré Landis Blair qui a commencé à dessiner des planches pour lui, selon le "storyboard" que Carlson lui avait fourni. Le trait à la plume, en noir et blanc, utilisant la hachure, nous fait penser à la bd Moi, ce que j'aime, c'est les monstres, d'Emil Ferris, publiée chez Alto en 2018. Il donne une touche sombre et précise à ce récit bouleversant. La qualité du papier sur lequel l'œuvre est imprimée ajoute un petit côté rugueux. Le lumineux, par contraste, ressort encore plus de l'histoire vraie qui se déroule sous nos yeux.C'est intéressant, car dans un article du Figaro, le dessinateur Landis Blair s'exprime ainsi à propos de son dessin, de son trait si particulier. Il le voit comme quelque chose fait pour masquer des erreurs, alors que nous, lecteurs, nous voyons ce style comme un atout s'adaptant parfaitement à l'histoire :
« En couvrant le dessin en hachures, non seulement je suis capable de dissimuler beaucoup d'erreurs, mais cela m'aide à me sentir plus confiant pour montrer le travail à d'autres personnes car, même si le dessin lui-même n'est pas très bon, elles peuvent au moins reconnaître et respecter le temps que j'ai passé dessus. »
Une bande dessinée qui nourrit et fait du bien en même temps. Du grand art!