Née dans les années 1990, biberonnée aux pop-stars d’MTV, MEY fait partie de cette nouvelle génération d’artistes qui utilise ses créations pour nous pousser à nous remettre en question sur des thèmes de société. Et pour cause, la chanteuse s’interroge et nous interroge sur la place de l’apparence dans la vie des femmes, avec un très beau premier EP, au titre évocateur, « With the lights off » ( « avec les lumières éteintes » ). L’omniprésence de l’apparence, l’artiste peut en parler, car elle en a été victime, allant jusqu’à se remaquiller 50 fois dans une même journée. Les chansons de MEY voguent entre rage, colère, rêverie, rock, folk et hip-hop. Elles sont intenses, tout comme l’artiste qui nous montre avec pugnacité sa volonté d’être considérée et respectée en tant que femme. Discussion avec une artiste engagée.
Comment as-tu fait tes premiers pas dans la musique ?
J’ai su que je voulais faire de la musique assez jeune, vers l’âge de 6/7 ans.
Mes parents ne sont pas du tout musiciens, mais ma mère écoutait quand même beaucoup de musique : Stevie Wonder, Enya, Mylène Farmer... J’ai commencé à chanter comme ça, par dessus ses disques, et puis c’est devenu une passion très rapidement. Dans ma jeunesse, j’ai fait beaucoup de reprises. J’ai intégré des groupes de cover et c’est ce qui m’a permis de faire mes premières scènes.
En parallèle, j’ai vécu une expérience difficile au cours de mon adolescence : mon père a été accusé de viol et agressions sexuelles, et a donc été incarcéré alors que j’avais 14 ans.
La musique a été mon refuge pendant cette adolescence compliquée, à la fois pour m’évader mais également comme exutoire de ma souffrance et ma colère.
Que raconte ton EP "With the lights off" ? De qui t'es-tu entourée pour le faire ?
Cet EP compte beaucoup pour moi. Il a été mon premier pas vers la reconnaissance de ma vulnérabilité. Je l’ai voulu intime, très personnel et sans concession.
Jusqu’en 2016, j’avais toujours été uniquement chanteuse et autrice dans des groupes, ce qui est déjà beaucoup bien sûr, mais j’avais besoin de faire mon chemin seule, d’être aux commandes, de ne pas avoir à négocier quoi que ce soit concernant les choix artistiques.
Jusqu’à présent, la composition, pour moi, c’était toujours en groupe, un effort collaboratif, et la plupart du temps j’écrivais et chantais sur des thèmes instrumentaux composés par d’autres personnes.
Cet EP m’a donc permis de mieux me découvrir en tant que compositrice et d’aller vers une atmosphère sonore bien à moi.
Pour le faire, je me suis entourée de Julien Portmann, producteur son et guitariste. Nos goûts sont différents mais se complètent parfaitement, il apporte les influences trip-hop et grunge qu’on peut ressentir sur l’EP. Mes influences à moi sont plus pop, rock et néo métal.
Les musiciens qui m’accompagnent sur scène ont également apporté leur touche sur certains titres de l’EP : Fabien Louail (guitares, basse), Florent Portmann (piano) et Valentin Provendier (batterie).
Pourquoi avoir choisi de chanter en anglais ?
Le choix de l’anglais s’est présenté à moi comme une évidence, ayant toujours grandi en écoutant de la musique anglo saxonne, et aussi parce que la langue anglaise en elle-même permet je trouve, de dire les choses plus directement, sans détours.
La chanson française a très peu fait partie de ma vie, que ce soit jeune ou adolescente. J’ai quelques coups de coeur, mais c’est quand même très rare ! (Rires)
Je suis avant tout attirée par les musiques « alternatives » ou « rock », qui sont reposent souvent davantage sur les mélodies, l’énergie et la production, que sur les textes : Muse, Florence and The Machine, Bjork, Radiohead, Korn, London Grammar, Royal Blood, Glass Animals…
Mais j’expérimente avec le français, petit à petit, et je compte bien en intégrer quelques titres sur mes projets futurs. Je trouve intéressant d’essayer de sortir davantage de mes influences pour créer quelque chose dans un style qui me parle. C’est une vraie prise de risque pour moi.
Que raconte le titre « RESPECT » ? Peut-on dire que c'est un titre féministe ?« RESPECT » est un titre que j’ai écrit avec beaucoup de spontanéité et dans lequel j’ai mis beaucoup de colère. Une colère que j’avais, je pense, accumulée depuis l’adolescence.
Lorsqu’on grandit en tant que femme dans la société qu’est la nôtre, on se retrouve très souvent dans des situations choquantes, humiliantes, sidérantes même. On intériorise tout ça, ne sachant pas forcément comment réagir sur le coup, mais la colère reste là.
Je pense que mon expérience dans le monde de la musique m’a obligée à ouvrir les yeux sur le degré de misogynie de notre société.
D’abord, parce que c’est un milieu très masculin : de toutes mes expériences passées, j’ai souvent été la seule fille dans des groupes d’hommes, au milieu de techniciens qui étaient aussi toujours des hommes, et j’ai du soumettre mes titres à des professionnels de la musique (labels, tourneurs) qui étaient eux aussi uniquement des hommes. Il en a découlé toutes sortes de débordements : remarques déplacées, attouchements, fixation permanente sur mon physique, infantilisation, mépris de mes capacités d’autrice / compositrice / interprète, etc.
C’est en partie cette expérience qui m’a donné l’idée de faire des concerts dans le noir, de mettre mon apparence au second plan dans ce premier album, d’où le titre « With The Lights Off ».
Ma relation avec mon père a aussi généré énormément d’incompréhension et de colère chez moi : d’origine égyptienne, sa culture est très patriarcale. Je l’ai toujours entendu me dire qu’en Egypte les filles « appartenaient » à leur père, jusqu’au jour de leur mariage, où là, elle « appartenaient » à leur mari, et se devaient de le suivre partout, de lui obéir.
Pour moi, le fil rouge de toutes ces expériences, c’est ce manque absolu de respect de notre individualité, de notre libre arbitre en tant que femmes.
Le respect, la considération, c’est quelque chose qu’un jour, j’ai vraiment eu besoin de réclamer. Et cette chanson, pour moi, c’est ça.
Que raconte le clip de ce titre ?
Le clip s’est imposé à moi car à l’origine je ne comptais pas clipper ce morceau. En septembre 2019, les collages ont démarré dans Paris, et j’ai été scotchée par leur puissance. J’ai trouvé qu’il y avait une rage commune entre ces messages et mon titre « RESPECT ».
J’ai donc monté moi même ces images sur ma musique, et j’ai envoyé la vidéo à Marguerite Stern, l’initiatrice des collages, en lui demandant si j’avais son accord pour la publication de cette vidéo.
Elle a accepté immédiatement, en me disant que ces collages nous appartenaient à toutes.
Je sais que c’est une personnalité controversée dans le milieu féministe, mais quoi qu’il en soit, je trouve que c’est une femme qui a beaucoup de courage, et qui a incontestablement eu une idée de génie, qui j’en suis convaincue, fera date.
La chanson "Spiky Love" dévoile ton côté sombre ?
En fait, je crois que ma musique en général me permet d’exprimer les aspects plus sombres de ma personnalité, et c’est ce qui m’intéresse et ce que j’ai envie de creuser, en tous cas pour l’instant.
Je fais partie de ces gens qui ont presque trop bien intégré les conventions sociales : la politesse, le fait de prendre sur soi, de rester toujours souriant et d’intérioriser les choses... La musique me permet d’exprimer cette autre facette de moi, et ces sentiments plus sombres, qui ne font pas bonne figure en société, et qui pourtant sont essentiels, et font partie de la vie.
« Spiky Love » parle de la face destructrice du désir, et des pulsions masochistes qui peuvent nous happer. C’est une chanson qui parle du fait de se complaire dans une relation toxique, sans réussir à s’en libérer.
Pourquoi avoir décidé de faire des lives dans la quasi obscurité ?Comme je l’ai dit plus haut, j’ai beaucoup souffert de la misogynie ambiante, dans ma vie personnelle et professionnelle, et ce depuis mes premières scènes, à l’âge de 14/15 ans.
Ce regard masculin obsédé par le physique, combiné avec l’obsession de notre culture pour l’apparence des femmes : être mince, être belle, être bien maquillée, bien coiffée, avoir de beaux vêtements, être un objet de désir.
Toute notre société nous éduque à être cela lorsqu’on est une femme, et quand on fait de la scène, ces injonctions sont permanentes et décuplées. On l’a encore vu récemment avec le scandale autour des remarques sur l’apparence d’Hoshi. Je ne suis pas du tout étonnée de ce débordement de la part de Fabien Lecoeuvre, car j’ai grandi avec ce type de discours autour de moi en permanence, que ce soit de la part des professionnels de la musique, des musiciens qui travaillent autour de moi, ou même du public.
On résume encore beaucoup trop les femmes à leur apparence, on leur demande d’être belle et sexy (selon des critères masculins bien sûr), sinon, elles n’ont pas de valeur.
J’ai eu beaucoup de mal à gérer cette pression là. C’est devenu à un moment de ma vie quelque chose de vraiment pathologique. Certains boivent, fument, se droguent. Moi, je me remaquillais 50 fois dans une même journée, je m’observais en permanence, je me détestais physiquement. Quoi que je fasse, ce n’était jamais assez. Et c’était vraiment une prison pour moi, parce que c’était ambivalent : je m’efforçais de répondre à un standard de beauté parce que j’avais la sensation que c’était la chose la plus importante aux yeux de tous, et lorsque qu’on me complimentait sur mon physique, je me sentais terriblement réduite à ça, méprisée, vide.
Un jour, j’ai pensé : « tout serait tellement plus simple, si je pouvais juste être là, sur scène, faire ce que j’aime, sans avoir à répondre en permanence à ces injonctions ». Alors, j’ai eu l’idée des concerts dans le noir, et ça a été extrêmement libérateur pour moi.
A travers cette démarche, j’ai aussi envie de montrer aux jeunes filles, qu’on peut être une femme et qu’on peut monter sur scène sans avoir à forcément donner quelque chose à voir ou être un objet de séduction.
Après, je ne compte pas faire uniquement des lives dans le noir complet, ni forcément rester « cachée » éternellement, mais je pense que c’est quelque chose qui fait partie de moi et que j’y reviendrai toujours à certains moments, quand le besoin s’en fera sentir.
Tes confinements ont-ils été créatifs ou au contraire ont suscité un manque d'inspiration ?
Disons qu’au moment du début du confinement, j’étais dans une phase de création scénique : j’avais plusieurs résidences planifiées dans l’année, je devais peaufiner mon live et faire un maximum de dates courant 2020. Autant dire que ça a été bien compromis ! (Rires)
Du coup j’ai profité de ce contexte pour sortir un peu de ma zone de confort : j’ai fait mes premiers lives sur Instagram, pris du temps pour me connecter davantage avec mon public via les réseaux sociaux..
Mais de façon générale, le confinement a été plutôt pénible pour moi. J’ai tendance à être très obsessionnelle quand je crée, et du coup c’est très important pour moi de m’aérer l’esprit, de voir mes amis ou faire du sport pour compenser. J’ai eu quelques moments de grosse angoisse du coup, des insomnies à répétition, je pense comme beaucoup. Et puis, la musique et la scène étant mon métier, ça a fait un très gros vide dans ma vie d’un seul coup, avec beaucoup d’incertitudes sur l’avenir.
En revanche, sur la plan de la consommation, j’ai trouvé ça plutôt reposant : moins de tentations, aller davantage à l’essentiel, se contenter de ce qu’on a, vivre plus simplement, c’était pas mal.
Quels sont tes projets ?
Déjà, la sortie de mon premier album, qui est pour très bientôt. Ce premier opus aura été très long à maturer et à produire, mais j’en suis vraiment fière.
Par ailleurs, ne veux pas trop en dire, mais je travaille depuis un moment sur un autre projet qui me passionne et que j’ai hâte de pouvoir partager.
Tu es plus addict à Facebook, Twitter, Instagram, TikTok ou ClubHouse ?
Instagram, hélas ! (Rires)
Même si les réseaux sociaux peuvent vraiment devenir toxiques et même si je pense qu’il faut trouver un équilibre pour ne pas finir pas vivre sa vie à travers un écran, c’est la plateforme qui m’a permis de vraiment rencontrer mon public et je l’apprécie.
Je trouve que c’est une plateforme un peu plus complète que les autres, qui permet d’étayer un peu plus un propos. Et même si ça reste du zapping pour beaucoup d’utilisateurs, on peut quand même y mettre un peu de profondeur et de sens.
Avec qui rêverais-tu de collaborer ?
Ça, c’est une question difficile !
Je pense qu’en réalité, je serai trop impressionnée pour collaborer avec mes artistes favoris.
En revanche, en terme de production, j’adorerais faire mixer mon album par Spike Stent. (Massive Attack- Mezzanine, Coldplay - Ghost Stories).
J’admire énormément James Blake aussi, autant pour cette voix incroyable qu’en tant que producteur. Il a vraiment un son unique.
Tu écoutes quoi en ce moment ?
Ce dernier mois, les nouveaux albums de Royal Blood (Typhoons) et LondonGrammar (Californian Soil) sont sortis, donc ces deux albums là tournent beaucoup chez moi. En ce moment, j’écoute aussi beaucoup Tool, et je découvre (enfin!) Gojira, avec leur dernier album Fortitude.
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