Deux révoltes. Deux styles. Le jour et la nuit en quelque sorte. Une préférence pour moi et vous devinerez vite pour lequel.
Danse avec la foudre, c’est le titre de celui dont il va être question aujourd’hui. C'est aussi le surnom de Moira, la nana dont Figuette va devenir raide dingue.
Elle fait preuve d'une telle créativité dans la tournure de ses foudres, pour lui ça en devient de la poésie (p. 31). Voilà, c'est dit, la foudre c'est elle. Quant à lui, il est une alchimie de sauvagerie et de délicatesse. Il lit, peu mais il lit quand même, "pour l'hygiène" dira-t-il (p. 65).Plus loin (p. 178) Danse avec la foudre sera le personnage d'un conte indien imaginé pour leur fille.
Ça se passe au sud-est de Longwy, à Villerupt, surnommée la Petite Italie tant les ouvriers originaires de ce pays étaient nombreux, ce qui ne veut pas dire que leur intégration a été facile, loin de là. Et je pense aux Ritals, en particulier la pièce mise en scène par Bruno Putzulu. Il exprimait tant de tendresse pour
la moman. Comme il disait. Cette histoire d’immigration se déroulait en région parisienne.Tandis que celle-ci se trame à une autre époque et dans un autre cadre, tout près de la frontière luxembourgeoise où le niveau de vie est sans commune mesure. Fini le temps où le silence était un délire de ferraille, quandles aciéries battaient au coeur de la ville (p. 19). Aujourd'hui, tout le monde travaille ailleurs et les bistrots se comptent sur les doigts d'une main. Les locaux parcourent des dizaines de kilomètres en voiture, passent les frontières bleue ou luxembourgeoise et, le soir, rentrent directement chez euxFiguette et Moira vivent un peu comme les héros d’Olivier Bourdeaut, celui qui écrivit En attendant Bojangles. Il organise pour elle des apéros de folie. Mais un jour il propose une bière. La jeune femme explose : Mais tu m'as prise pour ton pote ou quoi ?! Figuette était paralysé. Rien ne l'avait préparé à la foudre (p. 49). Et elle n'y va pas de main morte pour tout casser dans la maison.On continue malgré tout à boire, à bouffer, à baiser. Les scènes sont vite répétitives bien que les thèmes de chaque soirée soient plus délirants les uns que les autres. Ils se font des films qu'ils partagent avec le lecteur. Moira est immature et égoïste, délirante, mais elle lui devient unique et indispensable. Moira est un point à l'horizon, cette ligne imaginaire qui recule au fur et à mesure qu'on l'approche (p. 32). Et je pense que sur la couverture, c'est elle enrubannée dans un rideau en guise de voile de mariage.J'ai aimé l'aspect social du récit. La description de la peur du père d’aller au travail dans la mine est parfaitement racontée en peu de mots. Pas une seule fois je suis descendu dans le puits sans me demander si j'allais revoir le jour (p. 67). Mais ce n'est pas nouveau. J’ai pensé aux anciens du centre minier de Lewarde, et puis aussi au premier roman de Didier Castino, Après le silence, même s’il était situé dans les aciéries du Midi.Figuette et ses copains perdent leur boulot avec la destruction de l'outil de travail, consécutivement au démantèlement par les grands groupes. Alors ils tentent de bricoler une cagnotte solidaire (p. 67) en faisant sortir des robots ménagers soit-disant défectueux avant de les revendre. Ils traficotent aussi des articles tombés du camion. Villerupt devient l'épicentre d’une forme de contrebande : deux ou trois bricoles à l'occasion, c'était rien qu'un réajustement de salaire (…) pour tous ceux dont avoir sa dignité se résume à parvenir à faire manger ses gosses (p. 109).Les chapitres s’enchaînent, dans un langage vivant, imagé, parlé, parfois gore. Le récit est chaotique. Comme si ce premier roman n'avait pas été écrit dans la continuité. Ou comme s’il était rythmé par les aléas de la vie des personnages.Jérémy Bracone a quarante ans. Il a vécu en Lorraine jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans. Artiste plasticien, il sculpte, dessine et réalise des installations.Danse avec la foudre de Jérémy Bracone, L'Iconoclaste, en librairie depuis le 14 janvier 2021