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Cameroun : Un policier gardé à vue pour meurtre à Yaoundé

Publié le 11 mai 2021 par Tonton @supprimez

Un père de famille vivant avec un handicap physique est décédé le 2 mai à l’hôpital général après avoir reçu une balle, tirée par un policier devant témoins. Une enquête a été ouverte à la Division régionale de la police judiciaire.

Emmanuel Makolla Essoh a succombé à ses blessures le 2 mai 2021 à l’hôpital général de Yaoundé. Ce handicapé physique avait été interné dans cette formation sanitaire depuis le 18 avril 2021 aux environs de 14h. La dépouille reste gardée à la morgue de l’hôpital général de Yaoundé pour une éventuelle autopsie. La victime qui laisse une veuve et trois enfants mineurs avait reçu une balle au niveau du cou. L’auteur du coup de feu mortel est un officier de police en service au commissariat de sécurité publique à Batchenga dans le département de la Lékié, région du Centre. Le présumé meurtrier est gardé à vue à la Division régionale de la police judiciaire du centre à Yaoundé. Les faits se sont déroulés au quartier Nkolndom dans l’arrondissement de Yaoundé 1er.

Selon les témoignages, la victime sortait d’un bar pour se rendre chez lui en compagnie de deux amis lorsqu’il a reçu le coup de feu. Une voiture s’est garée devant M. Makolla et ses amis. Le propriétaire du véhicule est sorti avec une arme à feu et a tiré sans aucune sommation. La victime est tombée gisant dans une mare de sang, avant d’être évacuée à l’hôpital général de Yaoundé. Après cet incident, l’auteur du coup de feu a été rattrapé par une foule en furie alors qu’il voulait quitter rapidement le lieu. Plus de 50 policiers dépêchés sur les lieux ont réussi à extraire leur confrère des mains des riverains.

Il se trompe de cible

En fait, c’est Henri Diphoum Mbella était visé par le coup de feu du policier. «Ce technicien en maçonnerie a effectué des travaux au domicile du policier depuis 2019. Les deux protagonistes se sont séparés avec un différend de 85 000 Fcfa. C’est depuis ce jour-là que le policier aurait promis la mort à Henri Diphoum. Mais au moment de mettre sa promesse à exécution, « l’homme en tenue a raté sa cible », explique un voisin du quartier ayant vécu la scène. Le technicien a également été interpellé pour la même affaire alors qu’il se trouvait au chevet du lit de son frère atteint par balle. Il reste toujours en garde à vue à la Division régionale de la police judicaire. « Nous ne savons pas pourquoi il est arrêté alors qu’aucune plainte n’a été déposée contre lui. C’est une détention arbitraire. Il faut immédiatement le libérer », affirme Rolande Cyrille Bechon.
Cet acte ayant conduit au décès de M. Makolla viole les textes juridiques internationaux ratifiés par le Cameroun. Il s’agit notamment de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui précise : « Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie. »
Le code de déontologie de la police camerounaise précise également que le fonctionnaire de police ne doit faire usage d’armes à feu qu’en cas d’extrême nécessité, de légitime défense ou pour soustraire autrui à une menace imminente de mort

La thèse de la légitime défense

Depuis la survenance de cet incident, l’enquête est en cours à la Division régionale de la police judiciaire du Centre. « Le meurtrier est toujours en garde à vue. C’est une affaire que le délégué général à la Sûreté nationale suit. Nous ne pouvons pas vous donner plus de détails avant le rapport qui sera adressé au patron de la police », explique un enquêteur de la Drpj.

Une source familiale se dit très préoccupée par la tournure que prend cette affaire. « Le policier a dit aux enquêteurs qu’on voulait arracher son arme pendant la bagarre. Il précise que c’est en voulant empêcher que son arme lui soit arrachée que le coup de feu est parti. C’est une thèse qui ne peut pas prospérer parce que l’affaire s’est déroulée en pleine journée et en plein carrefour. Les populations ont vu le policier sortir son arme pour tirer. Une fois qu’il a tiré, il est rentré retrouver son épouse dans le véhicule. Quand il a voulu quitter les lieux, la population l’a bloqué », explique un proche de la victime.

L’Ong Mandela Center international a été mandatée par la famille pour que cette affaire soit portée devant le tribunal militaire. Jean Claude Fogno, le responsable de cette Ong affirme qu’une plainte a été déposée contre l’Etat du Cameroun au tribunal militaire pour assassinat. « Ce policier a utilisé une arme de l’Etat qui a coûté la vie à un individu, nous estimons que la responsabilité de l’Etat dans cette affaire est engagée. Nous avons saisi le délégué général à la Sûreté nationale pour que non seulement ce policier soit traduit devant le tribunal militaire, mais également qu’il soit révoqué de la police camerounaise. Depuis que cette affaire a commencé, les pressions sont faites sur la famille. Lorsque la victime est décédée, des gens sont venus à l’hôpital dire qu’on devait procéder à l’inhumation immédiate de la victime. Nous nous sommes opposés parce que pour les besoins de justice, nous réclamons une autopsie pour savoir ce qui a causé la mort de ce jeune homme. En plus les responsables de la police ont promis de mettre à la disposition de la famille les frais des obsèques. Nous constatons aussi que plusieurs des collègues du policier sont en train de manœuvrer pour soustraire ce dernier des mains de la justice », explique le responsable de l’Ong Mandela Center international.

Les cas multiples

En l’espace d’un an, plus de trois cas de décès suspect impliquant les forces de maintien de l’ordre et les autorités administratives ont été signalés. Dès qu‘un représentant d’une autorité officielle est mis en cause dans une affaire de meurtre, la machine administrative s’active pour étouffer l’affaire. En août 2020, dans la ville de Kribi, Lydienne Taba, étudiante dans une université privée à Douala avait été mortellement atteinte par balle alors qu’elle se trouvait au domicile de son petit ami, le sous-préfet de Fifinda. Depuis la survenance de ce drame, les familles de la victime et les avocats constatent que la plainte déposée suite à ce meurtre devant le tribunal militaire d’Ebolowa reste sans suite.
En mai 2020, le jeune Cyrille Epanga avait succombé à ses blessures après avoir reçu une balle du commandant de brigade de Ndiendam dans la ville de Bafoussam. Selon les témoignages, ce jeune était en train de jouer aux cartes avec ses amis lorsqu’il a été atteint par balle. La gradée impliquée dans ce meurtre a été interpellée et jusqu’à ce jour, la plainte déposée par la famille reste sans suite.

Il y a quelques semaines dans la ville de Douala, un chauffeur de taxi est mort après avoir reçu une balle d’un gendarme. L’Ong Mandela Center international se bat pour que la lumière soit faite sur cette mort suspecte du conducteur de taxi.

Me Dominique Fousse, avocat au barreau du Cameroun, dénonce le flou entretenu au niveau des plaintes pour meurtre déposées dans les juridictions contre les agents de maintien de l’ordre impliqués dans ces affaires. « Il est récurrent aujourd’hui de voir un policier ou un sous-préfet abattre un civil sans avoir peur d’aller en prison », explique l’avocat.

Prince Nguimbous (JADE)


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