À la façon d’Eugène Atget ou de Walker Evans, les vues de Stephen Shore (né en 1947) présentent l’ordinaire, les coins de rue, les parkings, des maisons sans charme, une vitrine presque vide, des stations service, des chambres d’hôtel. Le photographe a collecté ainsi des images de tous les coins du pays : Floride, Californie, Texas, Montana, Ohio, Arizona… et même Canada. Le travail vise l’émotion, principalement au travers de la couleur et de la construction. Les éditions britanniques Mack publient aujourd’hui son nouvel ouvrage intitulé Steel Town. En 1977, Shore parcourt l’État de New York, la Pennsylvanie et l’est de l’Ohio – une région en plein déclin industriel qui portera plus tard le nom de Rust Belt. Il y rencontra des métallurgistes mis au chômage par les fermetures d’usines et photographia leur monde devenu soudainement fragile : usines désertes, bars abandonnés, rues commerçantes délabrées et maisons décorées avec amour. Ces images montrent une Amérique moyenne prospère, au bord du précipice d’un effondrement tragique. L’espoir et le désespoir se cachent derrière les façades des magasins, les intérieurs domestiques et les expressions tendues de ceux qui font face à la caméra 4×5″ de Shore. Initialement commandée comme un vaste reportage photographique pour Fortune Magazine dans la veine de Walker Evans, l’enquête multiforme de Shore n’a gagné en importance politique que dans les années qui ont suivi. Les sujets du photographe – ouvriers, dirigeants syndicaux et membres de leur famille – avaient tous voté pour Jimmy Carter l’année précédant sa visite ; il les retrouve quelques mois plus tard désillusionnés par le nouveau président, condamnés à abandonner le parti démocrate et à devenir les “démocrates de Reagan”. Grâce aux images toujours aussi captivantes de l’un des maîtres de la photographie, Steel Town dresse le portrait immersif d’une époque et d’un lieu dont la signification pour la nôtre est de plus en plus urgente. Le livre de 104 pages est maintenant disponible sur la boutique en ligne des éditions Mack.