Depuis plusieurs années, quelques banques, à travers le monde entier, essaient d'émuler le succès des dragons asiatiques avec leurs « super apps » et la tendance continue à se propager. Avant de trop rêver, il faut pourtant prendre conscience des limites de l'exercice et des difficultés à anticiper pour espérer en retirer les bénéfices attendus.
CaixaBank, avec Imagin, en Espagne, Bankinter au Brésil, Tinkoff en Russie, PayPal aux États-Unis…, pour ne citer que des exemples récents, illustrent ces velléités universelles dans le secteur financier de rechercher des relais de croissance hors des métiers historiques. Toutes comptent pour cela sur la popularité de leurs plates-formes web et mobiles et sur la confiance dont elles jouissent auprès de leurs clients afin de créer des espaces multi-services dont elles deviendraient les intermédiaires incontournables.
La promesse est alléchante et la voie tracée par WeChat et Alipay en Chine fait aisément croire qu'elle est à la portée des institutions qui ont d'emblée pour elles les millions d'adeptes de leurs applications, consultées tellement fréquemment qu'elles sont quasiment toujours présentes sur les podiums des logiciels les plus utilisés par les consommateurs. Pourquoi ne pas profiter de cette fidélité pour ajouter une sorte de supermarché où des boutiques en tout genre côtoieraient les fonctions bancaires ?
Malheureusement, la réalité est loin d'être aussi simple. Conquérir, simultanément, des fournisseurs partenaires et les chalands qui justifieront leurs efforts d'intégration, jusqu'à atteindre un modèle viable (par son échelle), ne s'improvise pas. Pour le comprendre et pour identifier les clés de la réussite, il est nécessaire de revenir aux fondamentaux des leaders – en trois mots : engagement, valeur et industrialisation – qui sont loin d'être acquis dans les banques et requièrent donc un travail préparatoire conséquent.
Le premier facteur à considérer se cache dans les prémices de la réflexion. En effet, bien qu'il soit tentant d'imaginer que le niveau soutenu d'activité dans les apps bancaires est un atout pour la séduction de commerçants désireux de toucher une audience captive, il ne faut tout de même pas perdre de vue l'écart existant entre la vérification récurrente de la situation d'un compte courant, qui constitue le principal usage, et un véritable engagement susceptible de créer un effet de halo sur des options additionnelles.
Le deuxième aspect, étroitement lié au précédent, tient dans l'apport de valeur au client. Il est facile de percevoir l'intérêt pour un individu de disposer, au cœur de la messagerie sociale où il investit l'essentiel de son temps et vit ses relations avec ses proches (quoi de plus immersif ?), de services enrichissant ses interactions, accessibles à tout moment sans frictions. Comment une banque peut-elle répliquer un tel avantage ? Il lui faut probablement commencer par réinventer l'expérience qu'elle propose…
Autre paramètre critique, souvent ignoré ou, à tout le moins, sous-estimé dans des entreprises encore peu accoutumées à l'automatisation des collaborations, une « super app » ne devient réellement attractive pour les organisations vouées à l'alimenter que si la barrière à l'entrée est la plus basse possible, en termes à la fois techniques et contractuels. La possibilité d'y prendre place en totale autonomie, sans délais et sans complications, est primordiale afin de la faire croître et la rendre de la sorte désirable.
La création d'une « super app » est un chantier de longue haleine, dont il faut d'abord bâtir les fondations solides. Or celles-ci comprennent des éléments (en matière d'expérience client, notamment) qui profiteraient également aux fonctions financières. Il vaudrait probablement mieux attaquer le sujet sous cet angle avant d'envisager une orientation qui pourrait, en tout état de cause, se terminer dans une impasse : après tout, le concept de « super app » n'est peut-être qu'un phénomène passager, né d'une prolifération incontrôlée de logiciels mobiles qu'il ne résout que temporairement.