Genève (envoyé spécial)
Le président Nicolas Sarkozy est très irrité du déblocage des négociations à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) sur la libéralisation des échanges internationaux. Au cours du week-end, il a téléphoné au président de la Commission européenne, Manuel Barroso, pour lui dire son mécontentement. Il persiste à juger les efforts déséquilibrés au détriment des intérêts européens et nuisibles pour l'acceptation du traité de Lisbonne par l'Irlande. Dimanche 27 juillet, M. Sarkozy a souhaité que le négociateur européen à Genève, le commissaire européen au commerce Peter Mandelson, vienne s'en expliquer à l'Elysée, mais l'intensité des négociations n'a pas permis à celui-ci de se rendre à Paris.
À la surprise générale, Pascal Lamy, le directeur général de l'OMC, est parvenu à relancer le cycle dit "de Doha" qui piétinait depuis sept ans. Reprises le 21 juillet, les négociations entre une quarantaine de ministres responsables du commerce ne débouchaient pas. Les Américains avaient beau dire qu'ils acceptaient d'abaisser de 22,5 milliards de dollars (14,3milliards d'euros) à 15 milliards de dollars leur plafond de subventions agricoles, et Peter Mandelson avait beau se lancer dans des calculs abscons pour prouver que l'Union européenne (UE) portait de 54 % à 60 % son pourcentage de réduction de ses droits de douane agricoles : les pays du Sud persistaient dans leur refus de réduire leurs droits de douane industriels, Kamal Nath, le ministre indien du commerce, poussait la provocation jusqu'à déclarer que l'avenir de l'automobile ne se trouvait plus à Detroit ou à Stuttgart, mais en Asie.
M.Lamy décidait alors de travailler en petit comité avec les sept puissances commerciales les plus importantes (Etats-Unis, Union européenne, Chine, Inde, Australie, Brésil, Japon) et les contraignait, le 25 juillet, à étudier son propre projet. Ce dernier avait l'avantage de présenter des chiffres précis en terme de baisses des subventions et des droits de douane agricoles, comme de baisses des droits de douane industriels et de protection des produits "sensibles".
Encore des dossiers épineux Aussitôt, les camps Nord et Sud se sont désagrégés. L'UE et les Etats-Unis, d'une part, les Brésiliens, d'autre part, donnaient le signal du ralliement au projet Lamy, en disant que, certes, celui-ci menaçait leurs intérêts, mais qu'il était possible de travailler sur ses bases. Au sein de l'UE, la France se retrouvait, le 26 juillet, en minorité, avec l'Italie, l'Irlande, la Hongrie et la Lituanie, car l'Allemagne et la Grande-Bretagne persuadaient les autres Etats membres d'accepter d'aller de l'avant.
Dans le camp des pays en développement, l'Inde, l'Indonésie, la Turquie, les Philippines, l'Argentine et l'Afrique du Sud campaient dans une opposition de principe, alors que le Brésil – jusque-là étiqueté "dur" – virait de bord et applaudissait les avancées avec le Paraguay, l'Uruguay, le Costa Rica et le Chili.
Les ministres se sont remis au travail avec succès. Les premières discussions sur la libéralisation des services (banques, assurances, BTP, tourisme…) ont été positives. Par exemple, l'Inde s'est dite prête à autoriser les étrangers à prendre la majorité dans certaines de ses entreprises de services. L'UE a offert 80000 visas d'immigration à des travailleurs très qualifiés venus des pays en développement. Le conflit de la banane, qui perdure depuis trente ans, entre Latino-Américains, Africains, Caraïbes et Européens, est en passe d'être réglé.
Tout n'est pas rose. La Chine a semé la pagaille en exigeant de maintenir des droits de douane élevés sur le riz, le sucre et le coton, au grand dam des autres pays émergents. L'Italie et la France veulent que les appellations d'origine, pour l'instant limitées aux vins et spiritueux, soient étendues au jambon de Parme ou au camembert, ce que refusent les Américains.
Il y a encore bien des dossiers épineux comme les subventions américaines et européennes au coton ou la prétention des émergents à pouvoir protéger des secteurs industriels entiers (chimie, automobile).
Quoi qu'il en soit, la "mayonnaise" de la négociation a pris, comme le souhaitait M.Lamy et comme le redoutait M.Sarkozy, qui ne veut pas que l'agriculture française fasse les frais de ce marchandage planétaire. Mais le président français est aussi président en exercice de l'Union et "il ne peut apparaître comme hexagonal ou populiste, en bloquant le processus", prédit un négociateur européen. Les négociations continueront donc, au plus tard jusqu'au 1er août, jour de la fermeture annuelle de l'OMC.Alain Faujas : le monde.fr