Sylvie Germain nous offre dans ce court ouvrage un temps de réflexion sur la littérature ou plutôt sur le processus d'écriture et la naissance des personnages. Elle conte comment ils s'imposent petit à petit à l'auteur, prennent forme, prennent souffle, embarquent l'auteur dans des histoires. Elles sonnent juste ou non, mais elles sonnent à travers eux. Le personnage n'arrive pas seul, il vient avec ses mots, ses visions. Genèse des personnages mise ensuite en esquisses à travers deux nouvelles : Le tremble, sur une auteure qui attend devant la page blanche et Magdiel, ce personnage qui s'impose à l'auteur sans qu'il arrive à en faire quelque chose... jusqu'au jour où il lui trouve une forme.
"Il a la force incantatoire des suppliants de la tragédie grecque dont Maurice Blanchot dit, dans L'entretien infini : "Le suppliant et l'étranger ne font qu'un : tous deux privés de tout, étant privés de ce droit qui fonde tous les autres et que crée seule l'appartenance au foyer. E. Beaujon nous rappelle que le mot grec, traduit par " suppliant ", veut dire au sens propre : celui qui vient ; ainsi le suppliant est-il l'homme de la venue, toujours en route parce que sans lieu, à propos duquel il faut donc poser la question mystérieuse entre toutes, celle de l'origine [...] Tout arrivant propose une vérité qu'il ne faut pas mettre à la porte ; mais qu'on lui donne accueil, et qui sait jusqu'où elle vous conduira ?"
"Mais tout romancier sait bien que les personnages sont doués d'une étrange autonomie, qu'ils sont des mendiants fantasques, et que leur désobéissance chronique n'est pas un simple caprice mais qu'elle obéit à des "lois" aussi obscures et dynamiques que celles qui régissent toute personnalité. Tout romancier sait qu'il n'est pas "le maitre dans la maison" de son imaginaire"
"S'oublier. S'oublier au cœur même de la vigilante attention porée au texte que l'on est en train d'écrire. Se perdre de vue pour voir autrement, pour se découvrir autre.
De toute façon, on n'écrit jamais le livre que l'on rêvait d'écrire, faute de savoir au juste ce que l'on voulait écrire. A chaque nouveau livre achevé, on reste insatisfait, dubitatif. On a l'impression de s'être égaré en chemin, d'avoir échoué à dire ce que l'on croyait dire. Par un curieux, brutal mouvement de ressac, toute l'encre du texte patiemment élaboré se soulève en une énorme vague nocturne qui se fracasse contre le point final, et le texte reflue dans un poudroiement noir, laissant les pages vides, jonchées de mots brisés. [...]
Ecrire est dérisoire : une digue de papier contre un océan de silence.
Le silence - lui seul obtient le dernier mot. Lui seul détient le sens éparpillé à travers la multitude des mots. Et c'est vers lui, au fond, que nous tendons, à lui que nous aspirons, aussi passionnément que secrètement, lorsque nous écrivons. "Garder le silence, c'est ce que à notre insu nous voulons tous, écrivant", dit Maurice Blanchot"