Sarkozy ou le paradigme de l’Inefficacité

Publié le 26 juillet 2008 par Lozsoc
juillet 26th, 2008 Posted in Europe et International, Vidéos

A quelques jours de la cérémonie d’ouverture des jeux olympiques, la Chine prend prétexte de prétendues menaces terroristes pour intensifier sa répression contre les opposants politiques au régime communiste. Cette semaine, des blogeurs chinois ont été arrêtés pour subversion.

Vu le contexte, la venue de Nicolas Sarkozy à Pékin n’en sera donc que plus remarquée à défaut d’être remarquable. Celui qui n’avait pas assez de trémolos dans la voix pour fustiger, en avril 2007, la « Realpolitik », s’en fait aujourd’hui le chantre le plus cynique alors que Gordon Brown, le premier ministre britannique, et Angela Merkel, la chancelière allemande, n’assisteront pas à la cérémonie d’ouverture.

Pourtant, la Grande Bretagne et l’Allemagne ont également d’importants intérêts économiques en Chine. Ce sont en outre deux grandes nations en matière sportive. Il y a par ailleurs sur leur territoire respectif des associations de défense des droits de l’homme aussi actives que Reporters sans frontières, comme par exemple Amnesty International (dont le siège mondial est à Londres). De même, on ne peut pas dire que l’accueil de la flamme olympique dans ces deux pays ait été empreint de la plus grande cordialité.

Pourquoi dès lors l’absence des représentants politiques de ces deux grandes nations n’a-t-elle pas déclenché l’ire des autorités chinoises, comme ce fut le cas pour la France ?


(Cette vidéo fera plaisir aux amis de Lang)

Afin de mieux comprendre l’attitude de la Chine vis-à-vis de la France, il paraît utile de citer au préalable un extrait d’un entretien accordé en 1998 par le sinologue François Jullien :

« Vous parliez des affaires. Moi j’ai accompagné des entreprises françaises en Chine pour négocier. Il y a des stratégies, des stratégies chinoises classiques, anciennes, auxquelles les Chinois ne renoncent pas. Par exemple, dans mon travail sur l’efficacité j’oppose manipulation à persuasion. Quand les hommes d’affaires européens vont en Chine, souvent ils veulent persuader les Chinois. On me dit : « Mais comment les persuader de… ? ». Là, vous retrouvez tout le fond grec : rhétorique et persuasion, peito, n’est-ce pas ? Vous retrouvez d’un coup toute la Grèce, l’orateur… Déjà dans Homère les personnages veulent se persuader les uns les autres. Et ça aboutit à des institutions politiques comme l’agora ou le tribunal, l’assemblée. La démocratie repose sur une chose : la persuasion. Alors qu’en Chine ce n’est pas le problème on manipule. C’est à dire qu’on aménage les conditions telles que vous passiez par où l’on veut que vous passiez. »

Or justement, notre gesticulateur présidentiel aime agir sur le registre de la persuasion qui est celui de l’autorité attachée aux prises de position claires et nettes.

En effet, tout au long de sa campagne, Sarkozy a usé et abusé de l’indicatif présent, de la première personne du singulier, en accompagnent l’utilisation de ce mode d’une gestuelle exprimant l’autorité vindicative et la détermination (par exemple pointer du doigt son auditoire ou ceux qui le contestent).

Voici une petite piqûre de rappel :

« Je veux être le Président de la France des droits de l’homme. Je ne crois pas à la « realpolitik » qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats. Je n’accepte pas ce qui se passe en Tchétchénie,ou au Darfour. Le silence est complice. Je ne veux être le complice d’aucune dictature à travers le monde. Je veux avoir le courage de faire ce que la gauche au pouvoir n’a pas eu le courage de faire. » (Discours prononcé à Bercy, le 24 avril 2007)

Que d’affirmations péremptoires (et louables) ! Six phrases, six affirmations extrêmement lourdes de sens auxquelles on peut opposer – déjà ! – six contre exemples depuis que le Leader Minimo est devenu le locataire de l’Elysée : 1) le pitoyable discours raciste de Dakar, 2) l’invitation à Paris de Muammar Khadafi, 3) celle de Bachar el-Assad, 4) les compliments appuyés au dictateur tunisien Ben Ali, 5) la reprise en main de la Françafrique pour calmer la colère du dictateur Gabonais Omar Bongo et 6) la venue de Sarkozy à la cérémonie des JO de Pékin.

Pour les Chinois, Sarkozy est un peu comme ces bouffons de Cour impériale qui, par des mises en scène grotesques, provoquent en même temps le rire et le mépris. Et c’est précisément ce qui le différencie de Gordon Brown ou d’Angela Merkel.

Le problème ne réside pas dans le fait que Sarkozy a voulu être le président des droits de l’homme. Il est que sa pratique du pouvoir s’inscrit en faux par rapport à ce qu’il a proféré sentencieusement.

Dans la pensée occidentale, le Bon est souvent associée à ce qui est Juste. En Chine, le Bon est ce qui est Efficace, c’est-à-dire que le Juste n’est qu’un éventail parmi toutes les possibilités qui peuvent conduire à l’Efficacité, c’est-à-dire à l’Harmonie sociale.

Brown et Merkel ont ceci d’efficace qu’ils parlent moins que l’excité du Faubourg Saint-Honoré et qu’ils exposent clairement et sobrement les justes raisons (le non respect des droits de l’homme, la répression au Tibet, les atteintes multiples à la liberté d’expression) qui les ont amenés à faire le choix de ne pas venir à Pékin. C’est aussi en raison de la clarté de sa position sur les droits de l’homme que Ségolène Royal avait fait forte impression sur les autorités chinoises lors de son déplacement dans ce pays, pendant que les médias français passaient leur temps à ironiser sur la « bravitude » et « l’efficacité de la justice commerciale chinoise »

Une telle attitude est compréhensible des autorités chinoises, ce qui ne signifie pas qu’elles l’approuvent. Cependant, ces dernières ont compris que la ligne de conduite des gouvernements britannique et allemand était dictée par un souci de cohérence ou d’harmonie en vertu de laquelle ce qui est Bon est de ne pas cautionner l’Injustice. Par conséquent, Brown et Merkel, par leur sobriété et leur intelligence politique, ont montré qu’ils étaient des interlocuteurs fiables parce qu’ils ont su créer les conditions pour amener la Chine à les respecter. Faire et ne pas passer son temps à dire que l’on va faire.

Avec Sarkozy, c’est l’exact contraire. Le président de la République de l’UMP est l’archétype du « mauvais manipulateur » que l’on repère à des kilomètres. C’est le persuasif qui fait l’inverse de ce dont il est persuadé. C’est l’impulsif colérique et lunatique dont les faits et gestes sont totalement incohérents mais visent uniquement à l’assouvissement de ses seuls besoins (la jouissance du pouvoir). En ce sens, ses positions ne sont pas crédibles et, de ce fait, il ne peut que s’attirer le mépris. Il s’est révélé incapable de créer les conditions pour amener la Chine à le respecter.

Plus on y songe et plus on se rend compte finalement que l’agressivité de la Chine n’est pas dirigée contre la France en tant que telle, mais bien contre celui qui en est l’incarnation depuis le 6 mai 2007 : Nicolas Sarkozy de Nagy Bocsa.

Pour dire les choses avec des mots de tous les jours : aux yeux des autorités chinoises, Sarkozy est un con. Et il doit être traité comme tel. Tant pis si notre orgueil national doit en prendre un coup, mais après tout, cette monumentale erreur de casting n’est pas imputable à la Chine mais aux 53% de Français qui ont crû aux boniments de Sarkozy.

Les Chinois ont eu en effet tout le loisir de l’observer et de constater sa chute vertigineuse dans l’estime des Français. Sarkozy est donc le paradigme de l’Inefficacité. Ce n’est pas un interlocuteur fiable.

C’est la raison pour laquelle, à notre avis, les autorités chinoises ont réservé un sort tout particulier à la France.

Quand Sarkozy a claironné un petit peu partout pour dire qu’il allait à Pékin, mais qu’il allait aussi inviter le Dalaï Lama à Paris, il n’est guère étonnant que cela ait renforcé l’acrimonie des Chinois à son égard et que – fait exceptionnel – l’Ambassadeur de Chine en poste à Paris ait lancé un avertissement.

La réponse de Sarkozy ? « Ce n’est pas à la Chine de fixer mon agenda ». Du Sarkozy pur jus. Une réaction épidermique et stupide.

Or précisément, si l’Ambassadeur de Chine s’est élevé contre la venue du Dalaï Lama à Paris, c’est qu’il sait depuis des mois, pour avoir observé la vie politique de notre pays, que l’agenda du Leader Minimo est aussi fluctuant que ses convictions.


On lira avec profit l’intégralité de l’entretien accordé par le professeur François Jullien.

François Jullien, Traité de l’efficacité, réédité au Livre de Poche