Les mandataires lozériens se félicitent d’avoir voté en faveur de la régression démocratique
juillet 26th, 2008 Posted in France, Lozère, VidéosSans aucune surprise, le trio Jacques Blanc, Francis Saint-Léger et Pierre Morel-A-L’Huissier a voté pour le projet de « réforme constitutionnelle ».
Jacques Blanc a ainsi déclaré au quotidien Le Midi Libre :
« Ce texte me convient. D’autant plus que j’ai beaucoup contribué à l’obtention de certains éléments […] C’est le Sénat qui a fait passer cette réforme, en apportant la majorité des trois-cinquièmes nécessaires.»
Affligeant. La réforme est à peine adoptée que Blanc revendique déjà la paternité de quelques éléments dont, soit dit en passant, il a pris soin de cacher la teneur (c’est la pudeur de ceux qui font mine de décider alors qu’ils sont en réalité de petits exécutants de la volonté du Prince). Jack Lang a donc du souci à se faire puisqu’il devra désormais compter sur l’incontournable maire de La Canourgue.
Si le ridicule pouvait tuer, le pauvre Blanc serait mort des milliers de fois.
Il n’est pas non plus étonnant que Francis Saint-Léger ait eu ces quelques mots qui marqueront, sans aucun doute, l’histoire de la Cinquième République :
« Cette réforme va dans le bon sens : elle nous permet d’aller vers plus de démocratie, en donnant plus de pouvoir au législatif au détriment de l’exécutif […] Il fallait passer au-delà des clivages politiciens que certains se sont faits un bonheur de cultiver [...] À gauche, une partie des députés était prête à voter « oui » jusqu’à ce que Hollande leur dise le contraire. »
Mais quel est donc ce « bon sens » dont se félicite le député sarkoziste de la première circonscription de la Lozère, réputé pour sa grande ouverture d’esprit (ouverture d’esprit dont les Mendois se sont largement méfiés lors des municipales) ? Celui-ci ne le dit pas. Et pour cause ! Il y a de fortes chances qu’il ne le sache pas lui-même.
S’il avait pris le temps de lire le texte de cette réforme constitutionnelle, il aurait vu alors qu’il s’agissait en fait d’une formidable régression démocratique. En effet, cette réforme porte gravement atteinte à la séparation des pouvoirs dans notre pays en augmentant l’omnipotence du Président de la République et en confirmant son irresponsabilité politique (irresponsabilité pénale et civile absolue). Du fait de l’instauration du quinquennat sous la présidence Chirac et de l’accélération du calendrier électoral, Sarkozy va devenir en quelque sorte le gouvernement à lui seul, et le Premier ministre se transformera en une sorte d’obscur intendant chargé d’expédier les affaires courantes.
Sarkozy pourra s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès, une fois l’an, pour s’y faire acclamer. Le Leader Minimo s’y rendra donc comme à la parade devant le pouvoir législatif soumis et molasse.
Saint-Léger, Blanc et Morel ont donc voté en faveur de l’instrumentalisation du pouvoir législatif et de son asservissement. Vraiment, quelle belle avancée démocratique !
Voyons de plus près ce qu’il en est réellement.
Le soi-disant rééquilibrage en faveur du Parlement, dont se prévalent les députés et sénateur sarkozistes UMP de la Lozère, est, en réalité, un leurre complet, dans la mesure où le pouvoir législatif sera tout simplement une annexe du pouvoir exécutif, compte tenu du mode de scrutin inique du Sénat, et de l’absence d’une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin de l’Assemblée Nationale.
L’UMP de la Lozère se glorifiera sans doute demain d’avoir contribué à accorder à l’opposition parlementaire de nouveaux droits. Elle ne manquera pas non plus de critiquer l’attitude politicienne du PS qui aura été incapable de voir où étaient ses intérêts. Cela a d’ailleurs déjà commencé avec le sarkoziste Morel-A-L’Huissier qui, toujours selon Le Midi Libre, a ironisé sur « L’aspect politico-dramatique entretenu par la gauche [qui] a cédé face à l’intérêt commun. »
Mais qu’en est-il véritablement de « l’intérêt commun » à la sauce UMP ?
Si le Parlement aura désormais la maîtrise de la moitié de l’ordre du jour, l’opposition sera la grande laissée pour compte puisque la réforme constitutionnelle qui a été votée lui réserve un seul petit jour sur trois semaines, à partager avec les centristes. Le reste, c’est-à-dire quasiment tout l’ordre du jour, va se partager entre le Premier ministre l’Intendant François Fillon et le président du groupe UMP Jean-François Copé.
De même si la présidence d’une commission parlementaire sur huit sera réservée à l’opposition, la proposition socialiste visant un meilleur rééquilibrage en confiant à l’opposition trois présidences de commission a été refusé, sans aucune possibilité de discussion.
Si le pouvoir de nomination du Président de la République aux grandes fonctions (Conseil constitutionnel, au CSA, etc.), ne sera plus discrétionnaire et pourra faire l’objet d’un refus par un vote des 3/5èmes au sein des deux commissions compétentes des deux assemblées pour le ou les postes à pourvoir, on sait d’avance que cette construction alambiquée est un simple maquillage juridique destinée à donner de l’illusion démocratique. En effet, compte tenu des modes de scrutin actuels du Sénat et de l’Assemblée nationale, l’UMP possède systématiquement les 3/5èmes cumulés dans la plupart des commissions parlementaires. Aucun sénateur et aucun député de la majorité UMP-Nouveau « Centre » ne prendra le risque politique de s’opposer à la volonté du Président de la République. Pour le reste, il faudra surtout attendre le vote et la promulgation de la loi organique censée mettre en œuvre ce « généreux » dispositif. Cette loi organique sera soumise au bon plaisir de l’UMP puisqu’elle pourra être adoptée à la majorité simple. On verra à ce moment là les intentions véritables du clan Sarkozy.
Peut-on parler sérieusement de rééquilibrage en faveur du pouvoir législatif alors que le Sénat a refusé absolument toutes les propositions visant à modifier sensiblement son mode de scrutin archaïque et qui fait que la droite est systématiquement majoritaire au sein de la Haute Assemblée ? Parmi les défenseurs de cette « anomalie démocratique », le sénateur sarkoziste Jacques Blanc n’était pas effectivement le moins actif. Mais une fois rentré de Paris, il sera toujours le premier à asséner ses leçons de droit constitutionnel aux Lozériens pour les convaincre de la pertinence de son choix.
Enfin, peut-on parler d’avancée démocratique alors que le Comité Balladur avait préconisé la stricte interdiction du cumul des mandats pour les parlementaires et l’élection de 20 à 30 députés à la proportionnelle, et que l’UMP s’y est farouchement opposé ?
S’il y a quelques points positifs – il en faut bien – comme par exemple l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel aux particuliers (ce qui est en fait un alignement à ce qui existe depuis longtemps dans la plupart des démocraties), le bilan de cette réforme est donc très largement négatif et consacre une régression inquiétante, dont la plus importante est sans doute l’accroissement des pouvoirs du Président de la République.
Un accroissement sans réelles contreparties comme on vient de le voir.
La Lozère, émue, peut donc remercier ses mandataires cumulards, qui ont prêté leur concours à ce cinéma constitutionnel, arraché à deux voix près, suite à de multiples pressions.
Avec eux, c’est sûr, la démocratie est en de bonnes mains.
Lire l’entretien de Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à l’université de Montpellier 1.
Crédits vidéos : Rive Gauche, Blog Actuality