Il faut bien admettre que l’opposition ne jouit pas de l’égalité proclamée. Seule l’opiniâtreté de ses leaders lui permet de grignoter un temps de parole qui reste, globalement, bien moins important, que celui de l’actuelle majorité sarkoziste UMP-Nouveau « Centre », dans la mesure où cette dernière ne manque jamais de mêler la polémique aux explications supposées éclairer l’action des gouvernants.
Ce mélange des genres atteint aujourd’hui son paroxysme avec Nicolas Sarkozy. Le président de la République de l’UMP occupe les médias comme jamais un de ses prédécesseurs ne l’a fait. Du temps de de Gaulle, Pompidou et Giscard, les chaînes de télévision et de radio étaient toutes publiques. Aujourd’hui, elles sont incomparablement plus nombreuses. Le privé y côtoie le public. Les nouvelles technologies de l’information (Internet principalement) sont devenues des outils largement utilisés. Et, malgré cet apparent pluralisme, Nicolas Sarkozy demeure omniprésent et utilise sa position de chef d’Etat pour écraser l’opposition sous les procès d’intention ou les plaintes en justice (voir aussi l’affaire Ryanair ou encore l’enquête administrative diligentée contre une institutrice d’Albi). La prouesse de l’homme est d’être arrivé à hisser sa petitesse jusqu’au sommet de l’Etat et à la répandre par le biais d’un système médiatique dont il sait que l’unique préoccupation est de faire du pognon et de l’événementiel. Malgré le progrès des technologies, il en résulte une impression tout à fait paradoxale selon laquelle le pays semble avoir régressé politiquement de quarante ans au moins.
L’attitude de nos gouvernants semble accréditer l’idée qu’ils vivent l’exercice du pouvoir comme s’il s’agissait d’un dû. On en arrive naturellement à les suspecter de refuser qu’il y ait un jour une alternance politique, comme si celle-ci était impensable et suicidaire. Tous paraissent répéter à l’envie dans cette France assoupie : « C’est nous ou le K.O. ». La monocratie, qui avait largement commencé par le verbe, s’est maintenant figée dans le marbre de la Constitution.
Cette impression de système monocratique confine même à la certitude quand on voit les jeux troubles et les trahisons en tous genres auxquelles certains seconds couteaux dits de « gauche » se sont livrés depuis l’élection du Leader Minimo. On sait que cette trahison généralisée est désignée, dans la novlangue de la majorité UMP-Nouveau « Centre », sous le nom d’« Ouverture ». Mais quel est son sens profond si ce n’est qu’elle exprime implicitement cette conviction selon laquelle la Gauche démocratique est incapable, voire indigne, de revenir aux responsabilités nationales ?
Amara, Besson, Jouyet, Kouchner, DSK, et les autres (liste non exhaustive) expriment la conscience aiguë que chacun d’eux a une valeur telle, qu’elle ne peut être que bridée et méconnue dans l’opposition. Ils montrent que la nature humaine veut que nous cherchions à nous dépasser mais chacun pour soi. Tant pis si l’honneur et les convictions doivent y laisser quelques plumes. Comme l’écrivait François Mitterrand : « Sur le chemin de la trahison, il n’y a que le fleuve de la honte à traverser. » Il faut croire qu’ils avaient repéré depuis longtemps l’existence d’un gué. Ils n’en pouvaient plus d’attendre. Ils l’ont donc traversé.
A l’impatience des uns répond maintenant la soi-disant modernité des autres. Les autres, ce sont ceux qui ne savent pas nager ou en tout cas pas suffisamment bien et qui ont sans doute eu peur de tomber dans le fleuve de la honte et de s’y noyer. Leur soi-disant modernité (Lang, Valls, Gorce, Martin, etc.) consiste à ringardiser l’opposition, c’est-à-dire leurs propres amis politiques, en reprenant le prêt à penser de la droite, et de faire croire à la prétendue disqualification du PS français par rapport à ses homologues européens sur à peu près tous les sujets majeurs (emploi, temps de travail, Europe, immigration, etc.). Leur modernité est en quelque sorte la tumeur cancéreuse de la pensée unique qui se développe de métastase en métastase afin d’affaiblir, voire de tuer l’opposition en la consumant de l’intérieur. Ceux qui ont atteint l’autre rive du fleuve de la honte, accomplissent en pleine lumière la sale besogne que les autres, restés sur la berge du départ, se réservent dans une très relative obscurité.
Tous agissent avec un sentiment de totale impunité. Ils se drapent dans l’irresponsabilité politique. Ils se prévalent d’une « cohérence » qui les conduit, irrésistiblement, à agir contre les intérêts de l’opposition à laquelle ils sont censés pourtant appartenir. Quand des débats ont eu lieu pour arrêter une ligne politique qui ne correspond pas aux idées qu’ils y ont exprimées librement, ils s’en affranchissent au nom de « leur conscience ». Ils préviennent d’avance qu’ils n’ont pas à subir les conséquences des actes qu’ils posent. On a pu le constater lors du référendum sur le projet de Constitution européenne, puis tout au long de la campagne présidentielle et de ses suites immédiates, et enfin dernièrement avec le ralliement de Jack Lang au projet de « réforme » constitutionnelle (ralliement soutenu par Valls et ses amis même s’ils n’ont pas osé mêler leurs voix à celles de la majorité… chaque chose en son temps). Certes, la direction du PS leur a bien fait les gros yeux. Mais envisage-t-elle sérieusement de sanctionner ces comportements ? Rien n’est moins sûr.
Certains de ces naïfs se plaisent à charger aujourd’hui exclusivement le PRG afin de détourner l’attention des dysfonctionnements internes au PS. Ils oublient simplement de préciser que le PRG demeure fondamentalement une cabine téléphonique autonome, libre et souveraine. Par conséquent, le PRG, malgré sa qualité de « parti croupion », demeure libre d’agir aussi en fonction de ses seuls intérêts. On peut sans doute le déplorer, mais il n’en demeure pas moins que son attitude n’est pas dépourvue d’une certaine logique. N’est-il pas arrivé au PCF, aux Verts, et au MRC de faire de même sur certains textes ? Il convient donc de rappeler cette évidence : le PRG n’est pas le PS et son attitude est certainement plus claire que n’est celle du PRS de Jean-Luc Mélenchon (officiellement toujours au PS). Or, ce sont les socialistes qui nous intéressent ici, et plus particulièrement ceux qui se piquent de faire la morale alors que leurs actes et leurs prises de position montrent qu’ils en sont cruellement dépourvus.
Quand un socialiste de premier plan s’assoit sur les règles du PS et ne tient pas compte de la ligne politique qui a été définie après débat, il n’est donc pas incongru que sa responsabilité disciplinaire puisse être mise en jeu sans qu’il s’en exonère en excipant d’on ne sait quelle clause de conscience opportuniste.
C’est ce principe, simple et évident, que certains sots « désintéressés » qualifient de stalinisme et de sectarisme !
Ceux-là oublient une chose qu’on va se faire un plaisir de leur rappeler : si on peut se permettre d’écrire des billets qui les dérangent et les heurtent, c’est précisément parce qu’on n’espère rien de particulier, si ce n’est, bien sûr, de voir le retour de la Gauche démocratique aux responsabilités nationales, afin de mettre un terme à la politique de régression sociale et économique massive que l’UMP mène depuis 2002.
Ne rien espérer pour soi, c’est encore le meilleur moyen de ne pas être déçu quand rien ne survient et c’est indiscutablement un facteur de liberté et de libre épanouissement de ses convictions. On ne fait pas partie des socialistes alimentaires qui se taisent pour ne pas indisposer les mandarins locaux qui les font vivre ou qui, à l’instar de Valls, font de la politique comme d’autres mènent une carrière professionnelle et qui considèrent donc l’opportunité d’un mandat ou d’un hochet quelconque comme une sorte de promotion qu’on ne peut refuser.
L’optimisme politique n’est une vertu qu’en paroles. En secret, il vaut mieux la clairvoyance. Donner trop d’espace à ces stratégies personnelles, qui minent le sens de l’action politique collective, c’est donc prendre le risque de susciter la désespérance et la démobilisation de la base du PS et, donc, à terme, de subir une nouvelle défaite.