Décomposée, de Clémentine Beauvais (éd. L'iconoclaste - collection L'iconopop)

Publié le 05 mai 2021 par Onarretetout

Goujats les poètes français, Ronsard, Corneille, Baudelaire, les deux premiers promettant la vieillesse et la décrépitude aux femmes qu'ils désirent, le troisième lui annonçant un avenir de charogne...

Clémentine Beauvais a lu ce poème de Baudelaire et imagine ce qu'a pu être cette femme, si c'était une femme, forcément « lubrique » pour le poète, et ce qu'elle pourrait dire de son existence au milieu de ce XIXe siècle où être femme n'était sans doute pas une sinécure. Au hasard de cette promenade, « au détour d'un sentier », le poète et sa muse découvrent une charogne, une ordure, une carcasse, et d'être comparée à ce corps pourrissant, grouillant de vers, fait dire à Jeanne - puisque la muse est sans doute Jeanne Duval, une fille des îles - qu'elle est certainement son amie, qui est comme une soeur, celle qui l'a soignée un soir. L'écriture de Clémentine Beauvais, en vers, résonne au hasard de cette rencontre, lui donne une profondeur que Baudelaire n'avait pas mise, celui-ci s'arrêtant à la perte de la beauté, à la déchéance (juste un peu plus loin que Ronsard ou Corneille). Elle fait vivre à cette morte une vie de couture, de réparation des étoffes, des vêtements et des corps, une vie d'aiguille pour coudre puis pour avorter, pour réparer toujours, et pour tuer quand l'acte est irréparable. Formidable femme, qu'elle nomme Grâce, qui agit avec grâce, à qui on demande grâce. Double sens des mots, poésie. Et Jeanne se moque gentiment de son poète, des manières qu'il a pour dire les choses, de la façon dont il considère les femmes, promptes à s'évanouir. Mais les femmes, qu'elles s'appellent Grâce ou Jeanne, ne sont pas de celles qui s'évanouissent.

Ce livre est une merveille. Écrit en vers, découpé selon les lieux - détour d'un sentier, montagne, rue de la Femme-sans-Tête, chambre en haut d'un escalier, cour où des enfants jouent aux osselets... -, les années - de 1820 à 1855 -, il donne vie au poète, bien sûr, et à ces femmes, aux femmes qui agissent,  et ne sont pas seulement des images pour illustrer les poèmes.

Le poète a installé Jeanne au 6 rue de la Femme-sans-Tête, 
ruelle sur une île, pour cette femme des îles, 
mais plutôt que les tessons bleus de l'océan, 
il y a la Seine glauque à sa fenêtre ;
ruelle d'une décapitée, pour cette femme sans nom,
Jeanne Duval peut-être     Lemer peut-être
                                      un autre nom peut-être
les muses ont-elles besoin de nom de famille ?

Et quand on aura lu le livre de Clémentine Beauvais, alors, on relira le poème de Baudelaire et reprendra vie cette « charogne infâme » et aussi Jeanne Duval, « sous l'ardeur des climats ». Et peut-être plus loin, arrivés à Cythère, nous dirons avec le poète :

- Ah ! Seigneur ! donnez-moi la force et le courage
De contempler mon cœur et mon corps sans dégoût !

Pour continuer, vous pouvez écouter Denis Lavant lire le poème de Baudelaire, Une charogne.

Et aussi Clémentine Beauvais parler, à la librairie Mollat, de son livre, Décomposée.