Exploitation de leurs vastes écosystèmes pour imposer leurs solutions à leurs utilisateurs, usage immodéré des gigantesques réserves de données qu'ils collectent, dégagement des contraintes réglementaires en s'appuyant sur les acteurs traditionnels afin d'assumer ces dernières… C'est un véritable condensé des poncifs sur le sujet que nous propose en fait l'organisme, qui, en revanche, évite soigneusement de poser la question essentielle (qui certes sort de son champ de compétences) : quid de l'innovation ?
Il ne s'agit pas de nier quelques abus réels, parmi lesquels l'exclusivité de l'accès à l'ensemble des fonctions sans contact (NFC) par Apple est probablement le plus criant et la pré-installation des applications propriétaires est le plus insidieux. Pourtant, même si ces barrières étaient éliminées rien ne changerait fondamentalement dans le paysage concurrentiel et il ne resterait plus aucune excuse factice pour justifier le retard des institutions financières, surtout européennes, dans la compétition mondiale.
Balayons immédiatement l'argument réglementaire, tellement galvaudé et si peu à propos : il suffit de rappeler que la principale cible visée par les textes qui encadrent les activités financières est la lutte contre la délinquance et qu'ils s'appliquent à tous les intervenants de la chaîne de valeur, sans exception, à la hauteur des risques que leur position recouvre. En n'étant, finalement, que des fournisseurs d'outils techniques, Apple, Google et consorts portent logiquement une responsabilité limitée en la matière.
Par ailleurs, quand les autorités décident de mettre en place une directive telle que la DSP2, qui sort de ce champ de la sécurité, il ne faudrait pas oublier qu'elle reste axée sur la protection du consommateur… en l'occurrence vis-à-vis d'une position dominante des banques historiques. Celles-ci ont beau jeu de stigmatiser les géants du web (qui n'utilisent pas, à ce jour, l'opportunité ainsi ouverte) mais elles possèdent toujours un quasi monopole sur l'émission des instruments de paiement sous-jacents.
Le stéréotype de l'accumulation et la commercialisation de données ne résiste guère mieux à un examen sérieux. Entre Apple, qui choisit de se différencier justement par l'absence de toute velléité de tirer profit des informations personnelles de ses clients, et Google, qui en fait son modèle économique mais est, dans ce domaine, régie par les lois communes (RGPD en tête), assorties d'un puissant arsenal répressif, destinées à éviter les dérives, il reste peu de place pour en faire hypothétique avantage extravagant.
Plutôt que d'épiloguer à l'infini sur ces idées préconçues, répétées continuellement sans jamais être challengées alors qu'elles n'apportent rien de concret au débat, il serait certainement plus utile d'interroger les raisons qui font que le paiement sans contact est aujourd'hui contrôlé par des mastodontes américains, adossés à des réseaux américains (Visa et Mastercard), et pourquoi l'Europe n'a pas su produire d'alternative crédible. Or, dans ce registre, les questions critiques (et sans réponse) ne manquent pas.
Pourquoi les systèmes de règlement sans contact expérimentés il y a presque 20 ans (vous vous souvenez de Cityzi ?) n'ont jamais abouti ? Pourquoi les nouvelles solutions (par exemple Paylib) ne s'imposent-elles pas ? Pourquoi nos téléphones mobiles sont-ils américains et/ou chinois ? Pourquoi l'Europe a-t-elle attendu 2020 pour envisager un projet d'infrastructure de paiement ? Saura-t-elle faire de cet EPI promis une référence incontournable ? En résumé, fait-on vraiment et uniquement face à un problème de concurrence déloyale ou bien notre capacité d'innovation, dans un univers « industriel » où seuls des poids lourds ont voix au chapitre, est-elle totalement dépassée ?