Le plus troublant est l'incertitude dans laquelle Antoine Desjardins entraine un lecteur français. Car s'il écrit très bien, il emploie le champ lexical québécois dont les tournures savoureuses sont parfois obscures, et pour le moins souvent perturbantes, même en nous référant au bref dictionnaire qui se trouve à la fin de l'ouvrage.
Surtout dans la première nouvelle qui nous place dans la tête d'un adolescent atteint d'une maladie incurable. Des anglicismes que nous employons au masculin sont accordés au féminin. Je vous jure que c'est curieux de lire "sa job". Pis certaines actions et abréviations étonnent comme "signer des feuilles sur son pad", alors que d'autres fois le mot apparait sous un libellé inhabituel comme "être mis knock-out" alors que nous autres on est simplement KO. Sans parler des traductions de termes qu'on n'a jamais eu peur de dire en VO. Comme le rocking-chair devenu une chaise berçante.
Mais quand son personnage écoute "une série policière traduite en argot parisien" (p. 124) je me demande bien à quoi cela peut ressembler. Nul doute que ça doit être weird comme cet hérisson qui se prend le roman sur le coin de la tête.
Anyway, je ne me suis pas enfargée dans les franges du tapis, pis je m'y suis fait vite, sans recourir à un dictionnaire. Je voulais malgré tout vous prévenir parce que si la langue est plus fluide dès la deuxième nouvelle le cap de la première pourrait être ardu pour qui n'aurait pas la patience de laisser la poussière retomber.
Il n'y a pas que les mots qui se tortillent sous la plume d'Antoine Desjardins. Chaque récit est imprégné des préoccupations écologiques de l'auteur qui les sciencefictionne à l'extrême si bien qu'on ne sait plus s'il a conçu un roman d'anticipation ou s'il décrit des catastrophes qui sont déjà bel et bien en marche. Alors on dira que le cauchemar annonce des problèmes OPC (au plus crisse) d'une extrême urgence à prendre en compte. La lecture, un peu culpabilisante tout de même, dépasse le tourisme lexical.
No way que le réchauffement climatique est aussi suffocant que la mort qui va cueillir le gamin, et si j'avais connu l'expression, j'aurais pu dire que j'ai terminé A boire debout en pleurant à chaudes larmes. Vous aurez compris que j'avais les yeux dans l'eau.
Ne vous imaginez pas que je beurre épais l'auteur. Il mérite les compliments et je n'ai pas le temps de dealer avec vos considérations ce matin. Je niaise pantoute pas.
J'ai adoré l'histoire de ce mec qui se met à pelleter des nuages en anticipant un déménagement tout en étant perturbé par la probable future extinction "fonctionnelle" de la baleine noire du fait de sa lenteur à se reproduire alors que sa blonde, elle, va avoir un enfant. De plus en plus de jeunes gens s'interrogent : est-ce que ça se peut un enfant dans ce monde là ? Et ce n'est pas la crise sanitaire qui va atténuer le processus. Ce serait la cerise sur le sundae d'une vie de marde comme le dirait cet alcoolique un lendemain de veille (p. 145) avant de s'effrayer de la rencontre avec un coyote. Par association d'idées, il m'a fait penser à ce film qui se passe dans une ville américaine cernée par ces animaux, Nous les cocottes.
J'ai aussi songé à Dark waters à propos des crosses des multinationales et des lobbys (p. 187). Ce film fondamental vient d'être honoré d'un César.
Le roman n'est pas très optimiste même s'il est traversé d'ans vitaux. Tout ne change jamais que pour le pire (p. 239). Cet homme écrit comme l'aurait fait Claudel. Rappelons-nous de sa mise en garde : Le pire n'est jamais sûr.
Finie ma jasette. Ne perdez pas de temps avant de découvrir cette nouvelle voix apparue en littérature. Antoine Desjardins n'a guère de croûtes à manger avant d'obtenir la reconnaissance qu'il mérite. Nul doute que ce premier roman sera suivi d'autres.
Indice des feux d'Antoine Desjardins, la Peuplade, publié le 21 janvier 2021