Le petit pois, l'orange, un légume, un fruit

Publié le 01 mai 2021 par Onarretetout

Dans l’émission dominicale, aujourd’hui disparue, « Les papous dans la tête » (France Culture), Henri Cueco, artiste et écrivain, a, par deux fois, parlé du petit pois. (photo : Stéphanie Berlu - Maxppp)

D’abord, ce fut « La leçon de peinture ou comment peindre un petit pois ». En voici quelques extraits :

« À toutes les questions que pose le destin du petit pois,  vous pouvez au choix donner une réponse mystique (d’où vient-il ?), ou matérialiste (où va-t-il ?). Soyons réalistes : la plupart de nos petits pois iront dans la cocotte, une jardinière de petits pois avec du lard, quelques pommes de terre nouvelles, des carottes pour la couleur brique qui s’accorde si bien au vert des petits pois.
Le petit pois a l’avantage d’être un modèle simple, de bonne composition, peu encombrant. 
(…)
Qu’il soit de face ou de profil le petit pois ne change pas d’aspect. Il est sphérique et il n’existe pas un seul autre objet au monde qui présente cette particularité.
En réalité, le petit pois n’est pas exactement sphérique. Il a sur sa surface la trace d’un pédoncule par lequel il était rattaché à l’intérieur de la gousse. (…)
Cézanne aurait dit (mais il ne l’a pas dit) que celui qui sait peindre un petit pois saurait tout peindre. (…) Cézanne disant cela aurait développé son thème préféré de la sphère et du cylindre comme éléments de base du corps humain, le petit pois est donc un modèle idéal. (…)
Une fois observé dans le détail de son anatomie singulière, on simplifiera le petit pois en le conduisant vers sa forme stylisée, géométrisée, c’est à dire le cercle parfait. »

Dans un autre texte, il décrit le petit pois (forme, odeur, couleur) qu’il n’hésite pas à comparer avec la planète terre, elle aussi sphérique, le petit pois se desséchant faisant apparaître à sa surface des creux et des reliefs…

Pour décrire, il faut observer et mettre en jeu tous les sens, autant que faire se peut. La littérature, sans doute autant que la peinture (avec ses natures mortes), pratique cette activité. Jacques Jouet, membre de l’Oulipo, a écrit des pages à propos d’un navet qu’il observait chaque jour. Et vous trouverez de multiples exemples dans les moteurs de recherche sur internet.

Je vous invite à décrire un fruit ou un légume de votre choix faisant en sorte de transmettre les sensations que vous pouvez éprouver en le tenant, le sentant (cuit ou cru), le voyant se transformer, en le mangeant. Ce n’est pas une recette de cuisine (mais ça peut en être proche) ; ce n’est pas un traité de jardinage (mais ça peut y faire référence) ; ce n’est pas un article du dictionnaire (mais on peut en partir) ; et il doit y avoir du plaisir ou du dégoût (on peut aimer ou ne pas aimer tel ou tel légume…). 

Francis Ponge, poète du XXe siècle, dans son Parti pris des choses, décrivait ainsi une orange (image : Paul Gauguin) :

Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, -- mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins. 

Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ? -- L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, -- et ce sacrifice odorant... c'est faire à l'oppresseur trop bon compte vraiment. 

Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas hérisser les papilles. 

Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que suscite l'enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit. 

Mais à la fin d'une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, -- il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d'un minuscule citron, offre à l'extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l'intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C'est en lui que se retrouvent, après l'explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs, et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, -- la dureté relative et la verdeur (non d'ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d'être du fruit. 

C’est à vous main tenant. Choisissez le légume ou le fruit dont la présentation nous mettra l’eau à la bouche ou, au contraire, nous en détournera. Et postez votre texte dans les commentaires ci-dessous. Merci.