À l'aube de cette nouvelle année, j'ai envie de nous offrir un texte découvert depuis peu, dont je sais qu'il va me servir de viatique et de boussole pour les mois à venir. Car tout indique qu'il nous faudra continuer à naviguer entre vents et marées, surfer sur et entre les vagues, traverser la mauvaise tempête qui secoue la planète depuis des mois.
Ce cadeau est un poème de Fernando Pessoa, tiré de son Livre de l'intranquillité :
" De tout, il restera trois choses :
La certitude que tout était en train de commencer,
la certitude qu'il fallait continuer,
la certitude que cela serait interrompu avant que d'être terminé.
Faire de l'interruption, un nouveau chemin,
faire de la chute, un pas de danse,
faire de la peur, un escalier,
du rêve, un pont,
de la recherche... une rencontre. "
Difficile de ne pas penser à l'écophilosophe Joanna Macy. Dans ce temps proprement apocalyptique - au sens non pas de fin du monde, mais étymologique de dévoilement - où l'humanité est à la croisée des chemins, elle nous invite à apprendre à " danser avec l'incertitude ".
Danser, oui. Mais comment ? À partir de quel point d'ancrage ? Dans quel axe ? Avec quelle énergie ? Si c'est l'ego qui mène le bal, avec son obsession du faire, son besoin de contrôle et de sécurité extérieure, sa volonté de pouvoir, son horizontalité sans autre horizon que lui-même et le monde dans sa matérialité, nous n'irons pas très loin. Et nous ne tiendrons pas longtemps debout dans la tourmente...
Et si, pour danser avec l'incertitude, nous nous laissions être dansés. Non pas ballottés en tous sens par les événements, mais soulevés et (em)portés par le souffle du Vivant. Dans une belle verticalité entre la Terre et le Ciel, dans une ouverture à ce que l'Orient chrétien appelle les énergies divines : la grâce de l'Esprit qui habite et anime toute la création, agit en nous et à travers nous à partir du moment où nous nous y rendons présents et transparents.
Le point d'appui, alors, ce n'est pas seulement le sol - dont on sait à quel point il peut se dérober sous nos pieds - mais le cœur-esprit, le centre le plus central de notre être, qui nous connecte à la Source et nous appelle à devenir des êtres reliés. " Va dans ton propre fond, et là, agis ! Car toutes les œuvres que tu fais là, elles vivent ! ", disait Maître Eckhart. Elles vivent, parce qu'elles sont manifestation de la conscience, de l'amour et de la joie.
Les effondrements en cours et à venir, dont la pandémie n'est qu'un symptôme, m'invitent à ce travail dans la profondeur, à revenir chaque jour et chaque instant à ce lieu du cœur. Car il est le creuset alchimique où tout, par le feu de l'Esprit, peut être transfiguré : la tristesse en joie, le ressentiment en compassion, la colère en courage, la peur en confiance, la mort en renaissance, l'impuissance en espérance.
La clé pour entrer dans cette danse du Vivant, c'est le désir, son ardeur qui engendre le premier pas, puis le suivant... Dans la conscience que, pour paraphraser Maurice Bellet, malgré toutes les incertitudes de demain, " il n'y a d'assurance qu'en avant ". Car si le futur est ce qui sera à partir de ce qui est, l'à-venir est ce qui sera à partir de ce qui adviendra. Et cela, on ne peut le prédire, car il est de l'ordre de l'émergence, donc de l'inattendu, de l'inconnu, de l'inespéré toujours possible, du non-encore advenu de l'histoire. Le fruit de la synergie entre notre liberté et la grâce du divin.
Aujourd'hui, je commence...
Michel Maxime Egger
Sociologue, écothéologien, auteur d'ouvrages sur l'écospiritualité et l'écopsychologie, responsable du Laboratoire de transition intérieure (Pain pour le prochain et Action de Carême)
Publié dans le webzine " Debout en 2021 : Vœux d'intervenants de l'Université A Ciel Ouvert "