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Payer les pots cassés

Par Tobie @tobie_nathan

Stages de poterie… Payer les pots cassés

Tobie Nathan publié le 29 avril 2021 

Payer les pots cassésArticle issu du magazine n°149 avril 2021

Mettre les mains dans la glaise, ou regarder des professionnels le faire sur les réseaux sociaux, aurait des vertus relaxantes. Mais un détour par les mythes montre que l’acte de création engage bien plus qu’une simple (re)mise en forme.

La poterie ! Voilà déjà quelques années que la mode a commencé, et pas seulement chez les babas cool, comme si l’on ne savait plus quoi faire de nos mains… Alors les plonger dans la terre humide, en avoir jusqu’aux coudes, malaxer, presser, percer, modeler, polir, peindre… on prétend que ça fait un bien fou. D’autant que cette tendance rejoint celle du self-care, l’« art de prendre soin de soi ». Cocooning ou poterie, il s’agit d’apprendre à résister aux tensions du monde qui va… La multitude d’écoles, d’artisans qui proposent des stages de poterie attribue au retour à la glaise des vertus « anti­stress ». « Mettre la main à la pâte », « se salir les mains », s’abandonner au contact charnel de la matière, auraient, prétendent-ils, des effets directs sur notre fonctionnement mental, permettant à notre cerveau de se rebrancher à l’essentiel.

Payer les pots cassés

Mais depuis l’épidémie de Covid, plus question de se retrouver à une dizaine dans un atelier. Aussi cette vogue de la poterie a-t-elle déferlé sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram et sur TikTok. La poterie peut donc faire effet par procuration. Regarder, ébahi, les mains expertes d’une jeune fille tirer en quelques secondes d’un bloc informe de terre une grenouille assise sur le bord d’une baignoire, un beauty mug en céramique orné d’un papillon doré ou une petite assiette avec, en son centre, une vache se dorant la pilule, le pis en l’air… c’est hypnotique ! C’est que l’efficacité ne tient pas du seul retour à matière. Si l’on reste fasciné par la poterie, y compris devant son écran, c’est que l’on voit apparaître, de façon quasi magique, de la forme à partir de l’informe, que l’on assiste, en direct, à la création !

Toutefois, les mythes nous enseignent que la création n’est pas un long fleuve tranquille. Si le dieu de la Bible a bien façonné Adam, le premier homme, dans l’argile, si Ea, le démiurge mésopotamien, a aussi utilisé l’argile pour donner naissance à l’humanité, tout comme Khnoum, le dieu potier égyptien… ces mythologies, à la différence des idéologies du self-care, voient dans la poterie la source d’éternels conflits entre le créateur et ses créatures. 

Pourquoi diable, sitôt créés, Adam et Ève commettent-ils le « péché originel » ? Pour quelle raison les dieux mésopotamiens veulent-ils faire disparaître la race humaine ? Qu’est-ce qui oppose ainsi le créateur à sa créature au point de faire dire à Job désespéré : « Souviens-toi, je te prie, que tu m’as façonné comme de l’argile, et que tu me feras retourner à la poussière » (Job, 10:9).

Payer les pots cassés
Andrea pisano, lavoro di adamo ed eva, 1334-43, dal lato ovest del campanile

C’est peut-être dans un récit yoruba que l’on obtient la réponse. Là, Olodumare, le dieu créateur, façonne les deux premiers humains et compte poursuivre sa tâche : fabriquer indéfiniment de nouveaux êtres, jour après jour. Mais à peine a-t-il le dos tourné que le malin Eshu Elegbara transperce de son sexe les deux premières figurines. Dès lors, l’homme et la femme ne trouvent rien de plus pressé que de se reproduire par leurs propres moyens, ôtant à leur créateur sa prérogative : la création. 

Il faudrait peut-être prévenir les apprentis potiers qui voient si souvent la matière leur résister, les objets fabriqués se révolter contre leur créateur, se fendiller au séchage, se craqueler lors de leur passage au four : la pratique de la poterie n’est pas nécessairement cool… Parfois, il faut payer les pots cassés ! 


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