L'appel factieux de militaires antirépublicains...
Menace. «Ça pue.» Ce commentaire très cru d’un conseiller d’État rompu aux coulisses du pouvoir à son plus haut niveau depuis plus de trente ans en dit long sur le climat actuel qui agite les coulisses de notre chère République, «mise sous tension et au bord d’un chaos démocratique». Les mots se veulent volontairement inquiétants, d’autant que notre interlocuteur ajoute : «Près de la moitié de nos militaires, qu’ils soient d’active ou réservistes, votent à l’extrême droite ou s’affichent comme tels. Ce phénomène ne peut plus être nié. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils représentent désormais une menace, mais quand même…» Depuis l’appel signé par vingt généraux – plus qu’un «quarteron» –, soutenu par des centaines d’officiers et publié par Valeurs actuelles, tous les républicains authentiques de ce pays se demandent si l’affaire doit être vraiment prise au sérieux ou s’il s’agit d’une énième pantalonnade grotesque qui témoigne, à tout le moins, d’une dérive assumée par une partie non négligeable des sphères néofascisantes voulant provoquer un odieux bégaiement de l’histoire. Le bloc-noteur s’en tiendra aux remarques de notre conseiller d’État : «Est-ce un appel de putschistes ? Pas vraiment. Ceux qui préparent un coup d’État ne le font pas savoir par communiqué de presse. Les retraités qui ont signé ce torchon sont “hors cadre”. Sauf qu’ils reçoivent un certain écho dans la société française, n’en doutons pas…»
Mémoire. De quoi cet appel de factieux est-il donc le nom ? Ces ex-gradés nourris des souvenirs des guerres coloniales réclament ni plus ni moins l’intervention de l’armée sur le sol national afin de lutter contre «l’islamisme», les «hordes de banlieues» et les antiracistes. Ils écrivent : «Demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant, et les morts, dont vous porterez la responsabilité, se compteront par milliers.» Autant l’avouer. À la lecture de cet invraisemblable texte publié comme par hasard un 21 avril, jour anniversaire du putsch d’Alger, comment ne pas penser à l’OAS ou à la Cagoule, aux organisations terroristes d’extrême droite, mais aussi à tous ces réseaux d’hommes d’influence (armée, police, politique, affaires), anticommunistes, antisémites, antirépublicains, etc. ? Un peu de mémoire. Dans les années 1930, les «cagoulards» organisaient des assassinats, des attentats et des actes séditieux au nom du combat contre l’Anti-France incarnée par la figure du «judéo-bolchevisme» – les mêmes basculeront dans la pleine collaboration avec l’occupant nazi.
Vichy. S’il existe un parti de l’Ordre dans notre pays, rien d’étonnant à ce que Fifille-la-voilà ait immédiatement relayé l’appel de ces illuminés en proposant ses services pour les représenter. Responsabilité signifiante : elle participe ainsi à cet encouragement aux passages à l’acte, individuels ou collectifs. Notons le laxisme coupable des autorités légales, sans parler du silence assourdissant du prince-président, chef des armées. Dans une République « normale », respectueuse de la démocratie et de ses valeurs, ces cagoulards à l’ancienne seraient déjà sous les verrous, sauf à méconnaître le cadre régalien qui nous régit tous. La Constitution française interdit en effet d’attenter à la forme républicaine de l’État : l’appel à l’insurrection est puni par les articles 412-4 et 412-6 du Code pénal et son article 413-3 sanctionne «le fait, en vue de nuire à la défense nationale, de provoquer à la désobéissance par quelque moyen que ce soit des militaires ou des assujettis affectés à toute forme du service national». Car le pedigree des «signataires» ne laisse aucune place au doute. Du capitaine Jean-Pierre Fabre-Bernadac à Antoine Martinez ou Christian Piquemal, tous ou presque sont connus pour leur engagement au Rassemblement national et/ou à des groupuscules ultra-identitaires, adeptes de la théorie racialiste et complotiste du « grand remplacement », impulsée par le sinistre Renaud Camus. Fifille-la-voilà a salué ces ennemis de la République, les appelant à la «rejoindre dans la bataille pour la France». Celle de Vichy et du « quarteron » d’Alger…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 30 avril 2021.]