Quand le hasard se moque de nous.
"J’ai organisé la rencontre et démerdez-vous à trier les torchons et les serviettes!"
La pièce de Michalik, deux films coréens recelaient pas mal d’indices : "Parasites" de Bong Joon Ho et "Lucky Strike" de Yong-Hoon Kim.
Le cinéma coréen c’est du Tarantino en beaucoup plus … en beaucoup moins … en tout cas Tarantino est beaucoup plus facile à prononcer.
Etude sociologique, étude de mœurs grand écart social, qu’importe ! Ces deux pépites en disent long sur le comportement humain en situation de survie chez les nantis autant que chez les démunis. La stratégie,le mérite, sont régulés par le hasard.
J’avais retenu du visionnage de "Parasites" cette réplique du père à son fils : un plan ? Il n’y a pas de plan ! Tu crois que tous ces gens se sont réveillés ce matin en se disant qu’ils allaient passer la nuit entassés dans un gymnase pour dormir à même le sol avec des inconnus ? Et de celui de Lucky Strike, le hasard donne, le hasard reprend.
Il n’y a pas de hasard il n’y a que des conséquences, il semblerait.
C’est cette dernière phrase qui m’a conduit à me retrouver avec une aiguille dans le bras.
La famille de "Parasite" est du système démerde. Ce qui la rend sympathique : petites truanderies ordinaires et besoin de s’élever. C’est Darwinien chez les sapiens, on veut le meilleur pour soi et sa descendance. La fonction crée l’organe et, de l’opportunisme à la manipulation, l’usurpateur développe des réflexes de survie avec succès où l’instinct pourrait passer pour de l’intelligence. Une catastrophe naturelle, qu’aucune stratégie ne pouvait prévoir, remet de l’ordre. Si on ne peut dénier le droit de s’élever, d’y œuvrer et d’y parvenir avec l’aide du hasard, on peut s’étonner que le hasard intervienne alors que l’on est bien peinard installé dans l’acceptation de cette si confortable médiocrité sans avoir sollicité son intervention.
Le scénario de "Lucky Strike" c’est la chance d’un soumis bien poissard qui trouve un sac siglé Louis Vuitton rempli de fric. Il slalome entrela cruauté des tueurs imaginatifs et des flics corrompus (pardon pour les clichés) qui courent derrière. Le flic en planque quitte la bagnole juste avant la rencontre disproportionnée avec une benne à ordure, le temps d’aller chercher des cigarettes et cette bonne idée de traverser la rue lui évitera de finir en sushi comme son collègue (non –fumeur). Désormais, la marque de cigarettes deviendra son porte-bonheursauf le jour où traversant la rue pour aller chercher des clopes, il rencontra la même benne à ordures. Les mêmes causes produisirent les mêmes effets : le tabac tue et on ne peut pas faire plus concis pour un titre de film où un camion joue aux quilles : Lucky Strike.
Alors le hasard, gentil, pas gentil ?
J’essayais de décoder les derniers évènements avec ces quelques indices remontés de ma mémoire.
Quelques inquiétudes aussi puisque j’avais trouvé un sac Louis Vuitton dans la forêt.
Je ne fumais pas mais la séquence de bonnes fortunes qui s’enchaînèrent ensuite me suggérait quelques problèmes de santé à venir. Il semblerait que la fondation qui veillait sur moi était établie en Russie. Ces gens vous offrent volontiers un thé au polonium et l’étagère dans la cuisine était décorée par une collection de thés et de théières. Aucune stratégie ne m’avait amené dans cet appartement et je ne devais son occupation qu’à la bienveillance de l’inconnu(e ?) derrière cette fondation. Cependant ma morale, à moins que ce ne fusse une angoisse innée, beaucoup moins noble, le disputait à mon opportunisme.
" Tu l’as bien mérité !" De l’enfance à l’adolescence cette phrase était le corolaire d’une action nuisible ou d’un comportementdangereux. Selon maman, elle sanctionnait une chute ou, plus tard un échec, à toute tentative de sortir de son domaine de compétence, même si cet élément de langage, qui lui était inconnu était synthétisé par un : "C’est bien fait, il fallait rester à ta place !"
Jusque là j’étais persuadé de mon incompétence, ce qui ne m’empêchait pas de play it again, again, again !
La situation d’aujourd’hui était inédite. Le fameux " Tu l’as bien mérité !" n’était pas réservé auxsanctions mais pouvait être une récompense.
J’étais à jamais l’Intranquille de Pessoa et je tentais d’être le bon petit gars de Charles Juliet.
J’étais dans l’étau des forces obscures sans en connaître les intentions dans l’interrogation du "combien ça coûte" de la contrepartie. En attendantcet appartement était empli de tropes.
Des nudges guidaient mes pas vers la bibliothèque où Pessoa figurait en bonne place et le matin vers les chiottes, lieu d’intenses méditations inéluctables. Un ex-voto était placardé au dos de la porte des WC comme la quatrième de couve d’un bouquin et me servait de mantra quotidien" Avoir une croyance c’est adhérer à des dogmes, s’imposer une discipline de l’extérieur sans avoir fait ce travail intérieur de clarification et de dénudation…"
Poussez !
"… Alors que ce que l’on peut appeler une démarche spirituelle consiste précisément à cela, aller vers un dépassement de l’ego…"
Va falloir arrêter le riz !
" …L’essentiel n’est pas de croire mais la manière dont on se comporte dans la vie de tous les jours, avec les autres."
A la délivrance, j’avais tout compris de Charles Juliet.
Romeschka n’était plus là, mon contrat moral de chatte-sitting était devenu caduque.
Mission accomplie, il était temps de fuir !
L’appartement, la fondation, que ou qui sais-je, ne l’entendait pas de cette oreille !
Dans la mienne, il y avait l’acouphène de cette curiosité qui m’anime, me maintient ou me plombe. Le pourquoi du comment : pourquoi ce chèque était à mon nom ? Je suis entré et j’ai séjourné ici incognito, sans aucune interférence avec le monde extérieur dans les conditions propices et inédites d’une pandémie mondiale.
Tout était improbable dans cette histoire.
La réalité devenait irrationnelle. Le chèque appartenait au monde matériel et Pétaouchnock sur le Don était imaginaire. Je me couchais depuis quelques temps avec de la fièvre et me réveillais en sueur. Des courbatures accompagnaient mes journées, je prenais l’ascenseur incapable de monter une seule marche des escaliers déserts. Malgré ma fréquentation minimale et contrôlée du genre humain, j’avais dû négliger un lavage de mains après toucher de bouton de la cabine dont la majorité des habitants faisait son usage.
Nous étions en fin de confinement, plus de Covid, j’avais chopé le dernier, à moins que les russes…
Je m’allongeai ce jour là, épuisé, me souvenant que personne hormis eux ne connaissait ma présence dans ce triangle des Bermudes où mon smartphone ce soir- là affichait un très inquiétant : "pas de réseau" !
Les emmerdements ça vole en escadrilles : je décidai de tomber dans les pommes !
Epilogue
Thomas Benjamin Dunid – car c’était lui –avait passé le test !
Ce petit homme work in progress était sur le point de renoncer devant l’ampleur du chantier et nous avions pour mission de sauver le dernier des Romanov.
Il y avait dans ce mental suffisamment d’immaturité et de prétention pour ne pouvoir accepter une aide, exceptée celle du Tsar en personne.
Cette foi inébranlable d’une probité auto proclamée n’était qu’opportunisme, mais, comme disait Brassens, il ne faut jamais humilier un adversaire. Pour accréditer la version de la chance, l’intervention du deus ex machina s’imposait encore.
La suite des travaux demandait un courage physique authentique, pas de l’inconscience d’aventurier de pacotille. On l’a compris, ce mec prenait ses vices pour des vertus et sa désinvolture de ne pas vouloir savoir ce qui coulait dans ses veines ne devait rien à la fierté et tout à la crainte des piqures.
Ses résistances étaient chronophages, il se faisait tard, la fondation ne payait pas les heures sup et y avait du taf. Ne pouvant compter sur sa collaboration nous l’avons déconnecté.
Puis, son enveloppe charnelleconservée nous l’avons téléporté chez l’urologue, l’implantologue et procédé à quelques investigations sanguines.
La fondation n’avait pas souscrit à sa requête d’une taille au dessus et d’un âge moins canonique. Il restait à télécharger le logiciel complet de Christophe André sur l’acceptation, la rumination, la déceptionet une petite rénovation chez le kiné compléterait le tout.
L’effacement des souvenirs faisait encore l’objet de quelques négociations.
Souvenir poisseux ou pas, nous votâmes à mains levées de trois voix des romantiques pour l’archivage contre deux voix des pragmatiques pour l’oubli.
La responsable de la fondation entra dans la pièce.
Sa seule présence valait un arbitrage et nous jetâmes l’urne de la concertation en procédant à l’effacement illico presto !
En n’omettant surtout pas d’updater le programme "loyauté" indispensable avant la page blanche.
-Les garçons, nous sommes d’accord : souvenirs au panier, dit-elle en posant une fesse et son Starbuck sur l’angle du bureau, et vous placez les filtres.
Elle était laconique comme d’hab. Pour entrer dans son équipe, il fallait souvent monter au filet et savoir renvoyer pour y rester.
C’était une joueuse de fond de court.
Nous avions étudié la psyché du cobaye tombé du nid qu’elle nous avait chargé de reconditionner et nous savions ce que "placer des filtres" signifiait.
A l’entrée, celui du discernement semblait indispensable pour lui éviter de s’enthousiasmer à la moindre rencontre et, à la sortie, celui de la pertinence était utile afin qu’il tournesept fois sa langue dans sa bouche avant de l’ouvrir.
Des filtres costauds car une rencontre avec La Boss avait de quoi cramer tous les fusibles.
- il écrit un roman … entre les deux filtres !
- je sais !
Son expression en disait long …
Elle avala (c’était une de ses qualités) une gorgé de café en quittant la pièce.
Nous allions lui implanter l’oubli de cette idée saugrenue quand elle ajouta :
- S’il reste un peu de place sur le disque dur téléchargez-lui l’essentiel d’Epictète, Marc Aurèle … Sénèque.
Un Bescherelle aussi, ajouta-t-elle
Et réveillez-le dés que possible, il commence à faire du gras.
La Boss !
Capable de mettre en pause sept milliards d’individus pour en sauver un seul.
On trouva des biches place de la concorde et des dauphins dans la lagune de Venise. Les écolos rouscaillaient contre ce confinement qui allait les mettre au chômage
La Boss venait de signer la levée d’écrou par ses quelques mots.
Sa dernière trouvaille, la chimère référence Covid 19 son kit de variants multiples et vaccin unique avait fait le job. Sur Terra I quatrième planète tellurique du système solaire les copains avaient optimisé la situation. Pour les meilleurs de l’informatique, de la vente en ligne, la banque et la médecine les fortunes cumulées allaient leur permettre de financer la technologie et rejoindre Sirius avec autre chose que leurs vieilles fusées à poudre.
Le système pouvait reprendre son cours normal.
Rencontrer ou croiser ? Ai-je bifurqué après t’avoir rencontré ?
- Je n’aime pas les vagabonds, je sais où je vais et où je vais tu n’iras pas.
- Nous allons tous au même endroit et j’arriverai avant toi !
Tu parles d’un privilège !
Chaque année alourdissait d’une pierre mon sac à dos et allégeait le sien d'autant.
De plus, elle avait des Sherpas.
J’ai bu une gorgée d’eau, remis mon chapeau Prune à larges bords et poursuivis mon chemin persuadé que mon énergie était assurée par les panneaux solaire dans mon dos.
Et du coup je me suis éveillé. Sans R
La déco n’avait pas changé mais la chambre manquait d’intimité. Une aiguille dans le bras et un étranger en blouse blanche à mon chevet, c’était gênant.
Je vous épargne les classiques de circonstance : Ou suis-je ? Qui êtes-vous ? pour aller à l’essentiel du pauvre dans la crainte de "devoir des sous" pressé de payer :
- Combien vous dois-je ?
- Rien ! Tout est réglé. Vous avez eu une infection. Un jour de plus et vous y passiez. Nous avons reçu l’ordre d’intervenir, l’adresse, le passe et un virement…
- ne me dites rien : en provenance de Pétaouchnock sur le Don le virement ?
- oui !
Le toubib n’en savait pas plus.
Enfin si !
- "on" m’a dit de vous remettre ceci.
Sur la table de chevet, il y avait un dossier contenant une carte grise et les clés de Bonnie.
La carte grise ETAIT A MON NOM !
Bon, je n’allais pas retomber dans les pommes !
A suivre