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(Anthologie permanente) Ruth Lillegraven, La Serpe

Par Florence Trocmé


Ruth Lillegraven  La SerpeLes éditions LansKine ont publié récemment La Serpe, de la Norvégienne Ruth Lillegraven, dans une traduction d’Anne-Marie Soulier, décédée en janvier 2020.
Poezibao propose aujourd’hui des extraits du livre dans le cadre de l’anthologie permanente et une nouvelle note de lecture d’Yves Boudier après celle d’Isabelle Baladine Howald, qui propose trois poèmes en extraits.
DANS L'OCÉAN BLEU
c'est l'automne
dans la forêt
qui va bientôt dormir
silencieuse et noire
mais elle se soulève encore
oscille, saigne
et un matin il y a
un voile de toiles d'araignée
une brume de forêt entre
tout ce qui fut
ce qui viendra
tout ce qui va pourrir
tout ce qui va croître
ça brille ça scintille
tout simplement
ne t’éloigne pas
tout seul dans la forêt
tu pourrais rencontrer
des ours et des mauvais esprits
n’y va pas non plus
pour te promener
non, il faut un but
fendre du bois, chasser, ramasser
moi-même je cherche
une brebis perdue
je marche, je marche
et la forêt traîne
derrière elle
la soie de sa longue robe verte
et je deviens
vert et soyeux moi, aussi
la forêt devient moi
et moi la forêt
maintenant ici
plus de bruit de pluie
plus de trolls qui traînent
ici seulement
souffles de sagas et soleil obscur
paille qui atteint
la hauteur d'un homme
je marche, je marche
la forêt s'ouvre
comme une pomme de pin
la forêt s'ouvre
une couche après l'autre
j’arrive à un val
empli de fleurs bleues
même en septembre
jamais je n’y suis venu
jamais je n’ai vu
tant de fleurs si bleues
et si minuscules
ensemble elles forment
le plus beau des fjords
par un jour d’été
je regarde
tout autour
et j’y pénètre
m’étends sur le dos
et vois dans le ciel
des rameaux de noisetiers
fins comme les veines de mon père
du lichen vert comme
des nuages figés
les cimes des arbres
qui tournent et tournent
comme des roues de charrette
alors je commence
à nager bien loin
dans l’océan bleu
Ruth Lillegraven, La serpe, traduit du norvégien par Anne-Marie Soulier, aquarelles Olga Korableva, Lanskine, 2021, 142 p., 16€, p. 61-64


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