J’ai eu le plaisir de côtoyer Timba Bema avant qu’il ne publie ses premiers textes. Vous savez du temps où on voyageait facilement et que je faisais des virées du côté de Genève pour le salon du livre de cette ville ou pour animer des cafés littéraires avec la CENE littéraire…
Cette introduction a pour but de vous dire que je ne suis pas surpris par la forme atypique des projets littéraires de Timba Bema. L’homme est exigeant, pointilleux. Il a un sacré sens du détail le comptable. Avec Les seins de l’amante (ed. Stellamaris), il a obtenu une reconnaissance immédiate avec le Grand Prix littéraire d’Afrique noire. Flashs est sa troisième publication. Elle répond à l’originalité du poète slameur camerounais, basé en Suisse. Il s’agit d’un recueil d'aphorèmes. Qu’est-ce donc ? Timba Bema s’en explique avec une note explicative en entrée de son objet littéraire. Il nous dit comment lui viennent ses compositions de poèmes, par éclairs, par flashs. Il crée un nouveau mot pour désigner ces short cut : l’aphorème. Il contracte dans ce terme l’aphorisme et le poème. Et il définit l’aphorème comme l’unité fondamentale du poème en dressant un parallèle avec l’atome et la matière. L’image est saisissante.
« L’aphorème est donc ce surgissement premier qui contient le poème dans sa totalité, dans son infinité, et que le poète ensuite, jour après jour, année après année, devra reconstituer comme l’araignée tisse la toile dans le vide suspendu entre deux supports » (p.7)
Ainsi définit, le lecteur s’attend donc à des textes très courts, minimalistes qui portent à la fois le cri synthétique ou synthétisé du poète. On n’est pas dans la maxime ou le proverbe. Je me suis naturellement posé la question : « comment va-t-il s’y prendre ? »
Illustration :
2. Immigré Tu es La défaite Du souvenir
C’est joliment dit. On peut cogiter. Je peux vous laisser penser ce concentré de mots qui nous dit à la fois le passé, le présent, la faillite, la posture de l’immigré. Avec cet aphorème, je perçois la démarche esthétique et profonde de Timba Bema dans ce projet.
21. Et ses lèvres A ma chère Crachèrent Un serpent à flammes
Nous sommes dans un registre très différent. Timba Bema nous offre une réflexion vers autre chose. Peut-être vers l’intime. Peut-être vers l’autre. Avec des niveaux de lecture complexe ou simple. Chacun peut se projeter dans cette séquence qui n’est pas ésotérique. On pourrait faire des variations sur le mot « chère » avec des parallèles « chair » et « chaire » qui nous offrent d’autres lectures. La lecture est donc ludique et riche.
43. Un homme Désira la femme Et de leur union Naquit un tigre…vert
C’est cocasse, n’est-ce pas ? Plutôt jubilatoire... Mais la vie est faite de drôleries amères. J’essaie de rimer avec la couleur du tigre inattendu. Timba Bema cause naturellement sur l’absurde et l’absurdité de la vie. J’ai pris quelques exemples d’aphorismes un peu au hasard pour vous montrer la variété des prises de parole de Timba Bema. Portant sur l'intime ou sur un groupe. Il traite d’autres sujets dans ce recueil... Il accompagne son discours d'images, de belles et sombres illustrations. Que disent-elles ? Difficile de les décrypter. Mais tout cela participe à l’esthétique de l’ouvrage qui, au-delà de nous creuser les méninges, est remarquablement édité.
Ces flashs se forment comme une suite discontinue d’une poésie dont on peine tout de même à saisir le fil conducteur. Erotique, fataliste, politique, philosophique est la danse des mots du Camerounais… Vous me direz ce que vous en pensez, après lecture.
Timba Bema, FlashsEditions Stellamaris, 119 pages, 2021