La cérémonie officielle des obsèques du Maréchal du Tchad s’est déroulée le vendredi 23 avril dernier.
En dehors du leader centrafricain, Faustin Archange Touadera, aucun des quatre autres Présidents de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cemac), n’a daigné accompagner leur frère à sa dernière demeure. Comprendre les raisons de la fâcherie. Une chose au moins est sûre, par l’absence personnelle des cadors de la Cemac que sont Obiang Ngema Mbassogo, Paul Biya, Denis Sassou-Nguesso et Ali Bongo Ondimba, le diagnostic d’un malaise certain né de la disparition d’Idriss Déby est établi. L’absence de ces hommes, tous bantous en ajoute encore à la profondeur de ce malaise quand on sait la dimension cultuelle accordée aux cérémonies de deuil dans cette partie du monde. On n’inhume pas un mort sans qu’il y ait eu au préalable des pourparlers entre les anciens sur les causes et les implications du décès. Les sages ne sont pas venus à l’ « Essani » de Déby. Qui va donc expliquer les causes et les circonstances de sa mort ? Il n’y a que les anciens pour le faire. Quel est le message que les gestionnaires du pouvoir rompus à l’exercice veulent transmettre ? Et plus encore, qui en est le destinateur ? A la cérémonie des obsèques, il n’aura échappé à personne qu’Emmanuel Macron était presque la « guest star », par la charge symbolique de son discours et de sa posture à la tribune officielle.
Si donc les chefs d’Etat de l’Afrique centrale n’ont pas effectué le déplacement de Ndjamena, il y a de toute évidence un froid entre Paris et ces hommes d’Etat. Bien sûr qu’on peut tempérer en avouant que Paul Biya n’a pas l’habitude des voyages, ou qu’Ali Bongo Ondimba et Denis Sassou-Nguesso étaient occupés à Libreville par les affaires familiales. Mais pour une actualité aussi brûlante que tragique qui concerne le « frère de trente ans », peut-on expliquer cette absence qui prend les allures d’une concertation ? Il y a des interrogations que suscite cette politique de l’absence. Idriss Deby serait-il mort d’autres choses que de ses blessures de guerre ? Sa mort se situerait-elle dans le sillage de ses avatars avec ses protecteurs d’hier ? Et cette rébellion qui vient du Nord, se tasse au fur et à mesure que les jours passent depuis la mort d’Idriss Déby, quel crédit lui accorder ? Avec cette série de questions, on peut tout autant se faire sa propre religion que Paris a reçu cinq sur cinq le message des chefs d’Etat de la Cemac. Un signal est venu de certains chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest, précisément du G5 Sahel, qui en lançant des initiatives de paix au Tchad ont bien laissé entendre qu’ils s’engagent tout simplement parce que les pays de l’Afrique centrale n’ont rien entrepris.
Alternative crédible en face
Comment donc comprendre que Faustin Archange Touadera, le président centrafricain qui avait pourtant des difficultés avec le pouvoir tchadien, ait honoré de sa présence les obsèques de son frère du Nord ? On se souvient des accusations ouvertes de la mission diplomatique russe en Rca qui ne prenait aucune précaution ces derniers temps pour désigner Ndjamena comme l’instigateur de la déstabilisation en Rca. Au moment où la percée du pays de Vladimir Poutine en Oubangui-Chari est fulgurante, peut-on comprendre que les pays de la Cemac sont en train de signifier à la France qu’il y a désormais une alternative crédible en face ? Ce qui est arrivé à Ndjamena croit-on comprendre entre les lignes de cette absence, ne devrait jamais arriver car la France a des Accords de Défense avec le Tchad et bien plus encore, une base militaire française est hébergée à Ndjamena. Que s’est-il donc passé pour que le Maréchal tombe en dépit de la présence française ? Voici le nœud du problème même si dans son discours Macron a dit que la France ne laissera personne déstabiliser le Tchad. Ce n’est donc pas une insensibilité que la Cemac manifeste vis-à-vis de son défunt fils Déby mais plutôt un deuil silencieux avec le regard rivé sur toutes les culpabilités ouvertes ou couvertes.
De quoi est mort Déby ?
En Afrique centrale, dans beaucoup de cultures, les cérémonies funéraires sans des explications plausibles sur les causes et les circonstances de la mort, sont perçues comme des blasphèmes à la vie, à la vie en communauté. L’ «Essani » est de ce fait le cadre idéal pour ces explications. Le questionnement devient plus lancinant et pressant lorsqu’une personne décède de mort violente à l’exemple du Maréchal du Tchad. Le communiqué officiel de l’armée tchadienne a expliqué qu’il a été blessé au front et a succombé à ses blessures à Ndjamena. Terrible ! Cela est arrivé précisément au moment où on donnait les résultats de sa victoire pour un sixième mandat. Il n’a échappé à personne que c’est justement parce qu’il s’est lancé dans la course à ce mandat que le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) est descendu du Tibesti libyen avec pour détermination de marcher sur la capitale. Depuis la mort annoncée de Déby, elle piétine et parle désormais de négociation avec la Conseil militaire de transition (Cmt), dirigé par un fils du guide tchadien.
Quand il avait fallu que le défunt Maréchal chasse Hissène Habré du pouvoir, il avait été indiqué de recourir aux mêmes moyens opérationnels. Une rébellion avait été créée à la frontière avec le Soudan, le Mouvement patriotique pour le salut et parrainé par l’extérieur. Il y aurait certainement une répétition cette fois avec le Fact dans le but de faire partir Déby du pouvoir. Qui avait à cet égard intérêt à ce qu’il parte ? Probablement et en premier lieu ceux qui l’avaient aidé à conquérir le pouvoir si on se fie à ses déclarations particulièrement panafricanistes de ces derniers temps. Cela ne plaît pas beaucoup à l’extérieur. S’il est acquis que le Maréchal a reçu des balles mortelles au front de la bataille, certainement en première ligne, était-ce de nuit ou de jour ? Une autre piste glissante et ténébreuse que l’ « Essani » aurait eu toutes les peines du monde à expliciter car il eût fallu préciser tant de choses. A la fin, il est sage de retenir la conclusion d’Emmanuel Macron. « Deby tu as vécu en soldat et tu es mort en soldat », comme dit à Ndjamena.