L'entreprise, ses salariés et ses valeurs…

Publié le 26 avril 2021 par Patriceb @cestpasmonidee
La nouvelle campagne marketing d'ING en France sur le thème du « recrutement de valeurs », par laquelle la banque orange entend marquer sa volonté de privilégier les candidats qui partagent les principes fondateurs de sa culture d'entreprise, offre une occasion de s'interroger sur une tendance peut-être aussi essentielle que futile…
Le refrain revient régulièrement depuis le début de la crise sanitaire, sous l'impulsion de ses conséquences sur l'univers professionnel, dont, en particulier, les exigences de télétravail qui s'imposent depuis plus d'un an : les salariés se disent en quête de sens dans leur fonction, affirmant préférer les employeurs dont l'action est en phase avec leurs convictions (sur l'environnement, l'équité sociale, l'éthique…), jusqu'à, parfois, quitter leur poste quand leur attente est déçue et que le décalage est trop important.
Naturellement, du côté de l'entreprise, l'enjeu est tout aussi important. Embaucher une personne qui se trouverait en délicatesse avec ses valeurs fondamentales constitue une recette infaillible pour créer des tensions plus ou moins visibles, voire des conflits plus ou moins ouverts, qui, au mieux, aboutissent au gâchis d'une démission prématurée et, au pire, dégradent la performance de l'individu en cause… et de son entourage. De toute évidence, il vaut beaucoup mieux s'assurer de la compatibilité au début de la relation.
Dans le cas d'ING, sont à l'honneur l'ouverture d'esprit, le respect des différences, l'esprit d'équipe, l'éthique et le sens des responsabilités. Et, afin d'essayer de toucher les populations les plus susceptibles de posséder ces qualités, elle déploie ses messages sur des supports et des médias qui les véhiculent eux-mêmes. Le besoin d'origine est incontestable et je n'ai pas la prétention de juger la méthode employée… mais je ne peux m'empêcher de soupçonner que, finalement, tout ceci n'est qu'un jeu de dupes.

D'un côté (et, à partir d'ici, je ne mets pas spécialement en cause ING), se pose immédiatement la question de l'authenticité des valeurs affichées. Relèvent-elles d'une mythologie, d'une intention ou d'une réalité ? Dans la première hypothèse, qui peut ne pas être volontaire (l'aveuglement est fréquent, surtout dans les grands groupes), ceux qui se laisseront séduire seront trompés et la démarche s'avèrera contre-productive.
Plus intéressant, quand l'objectif est d'insuffler une nouvelle orientation à l'organisation, d'infléchir la culture d'entreprise, mettre en avant auprès des futurs collaborateurs les valeurs désirables, de manière à diffuser celles-ci par le biais du renouvellement des effectifs, représente un moyen d'accélération de la transformation. Cependant, dans un tel jeu, attention aux déconvenues catastrophiques que risque d'engendrer, pour tous, la confrontation entre des générations de salariés aux sensibilités différentes !
De l'autre côté, il se révélera extrêmement difficile de vérifier les convictions profondes d'un candidat, aussi – en dehors d'un ciblage à l'image de celui d'ING, qui n'aura de toutes manières qu'un impact partiel – l'entreprise n'aura-t-elle guère la possibilité d'opérer un filtrage efficace dans ses procédures de recrutement. Limitation à laquelle s'ajoutera sa capacité réelle à favoriser une coïncidence de vues supposée en regard d'une compétence qui transparaît objectivement à travers un parcours et un CV.
Le cœur du problème réside dans l'impalpabilité des valeurs humaines, qui sont pourtant si décisives pour la qualité de la relation entre employeur et employé. Une totale transparence entre les deux parties peut certes contribuer à limiter le danger de discordance mais elle est relativement illusoire dans la phase de séduction mutuelle d'une embauche. Il reste donc à prévoir les inévitables ratés, pour lesquels la meilleure solution consiste à rompre au moindre signe de dérive, ce que certains acteurs facilitent par une prime au départ anticipé (Zappos en fournissant l'exemple emblématique).