Ultradroitisation et hégémonie politique et culturelle…
Spectre. Cédant à l’irrépressible attrait du trou de serrure – propre au « voyeuriste » de la vie publique parfois comblé –, le bloc-noteur aimerait se détacher de l’air du temps, chinant çà et là des petits riens d’interstices susceptibles de nourrir une forme d’optimisme afin d’atténuer cette douloureuse impression de découronnement de l’à-venir. Difficile, n’est-ce pas, par les temps qui courent de retourner le «cercle de la raison». Ce que nous appelons par routine les leviers de commande semble télécommandé de partout et offre aux heureux élus un peu de poudre d’or à distribuer, comme autant de poudre aux yeux. Vous avez compris ce qui nous inquiète : les urnes sont des boîtes à double fond, électoral et funéraire. Elles recueillent, souvent avec décalage, nos rêves et nos cendres. Un an tout juste avant l’échéance que vous connaissez, une douloureuse impression s’impose en forme de question cruelle : et si la bataille pour l’Élysée se livrait désormais entre trois droites, spectre incluant, cela va sans dire, le prince-président sortant Mac Macron ? À l’étape actuelle, le constat s’avère douloureux. Une part croissante des débats est désormais captée par lesdites droites RN, LR et LaREM, et plus des deux tiers de l’électorat – ici-et-maintenant, à l’instant T – souhaiteraient s’exprimer en leur faveur. Pendant ce temps, la gauche, les gauches paraissent en voie d’éviction non seulement du second tour mais également de l’agenda du débat public, impulsé par toute la sphère politico-médiatique.
Peur. Nommons les choses : le climat est à l’oligopole, dans la droite ligne d’une tendance inquiétante constatée sur le continent. De quoi s’agit-il ? Selon la définition, une condition d’oligopole se rencontre lorsque nous trouvons, «sur un marché, un nombre faible d’offreurs disposant d’un certain pouvoir de marché et un nombre important de demandeurs», traduit autrement par «situation de marché oligopolistique». Ces trois droites, en position de quasi-hégémonie politique et culturelle du fait de leurs relais dans toute la société française, sont à la fois agressives (entre elles, contre la gauche) et menaçantes (toujours plus droitières), sachant que le pays, nous le savons dorénavant, est à la merci d’un « accident électoral » qui permettrait à Fifille-la-voilà de s’installer au Palais. À force d’avoir peur, la peur devient leur force. Existe-t-il d’ailleurs un point commun à cet oligopole ? Probablement celui d’emprunter tous les ressorts du Gulf Stream idéologique de l’ultradroitisation, par des approches légèrement différentes bien sûr, mais en couvrant tout l’éventail et en profitant de ces vents dominants pour gonfler les voiles.
Espoir. Cet état de marasme idéologique et politique puise ses racines loin en arrière. Pour le dire clairement : ceux qui pensent que les shows quotidiens de l’odieux Éric Zemmour constituent une sorte de « nouveauté », ce serait oublier quarante années d’un processus de droitisation et de libéralisme infernal, plus ou moins lent d’abord, puis vécu en accéléré ces toutes dernières années, «fruit d’une dialectique subtile, entre offre venue d’en haut et demande venue d’en bas, en raison des crises sociales, du terrorisme et de tant d’autres facteurs provoqués par toutes les propagandes démagogiques, ce qui, après autant de coups de boutoir dans la durée, a peu à peu marginalisé la vraie gauche dans différents secteurs sociaux», comme le résumait la semaine dernière un analyste. Le constat est posé, reste l’essentiel : la réponse. Peut-être viendra-t-elle, aussi, d’en bas, depuis les tréfonds de ces colères dues aux crises successives qui s’accumulent et ressortiront tôt ou tard. Pour le pire, ou le meilleur. Les peurs nourrissent l’effroi. L’espoir, lui, ouvre un autre processus…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 avril 2021.]