Quand sa carte de crédit s'est trouvée accusée de sexisme, le scandale a vite pris de l'ampleur… jusqu'à ce que l'enquête diligentée par le régulateur new-yorkais blanchisse Apple. Pour n'importe quelle autre entreprise, l'histoire se serait arrêtée là. Pour elle, la frustration identifiée à cette occasion offre une excellente opportunité d'innover.
Rappelez-vous, au cœur de l'automne 2019, la twittosphère puis la presse s'enflammaient après qu'un souscripteur de la (alors nouvelle) carte se soit indigné de l'écart entre sa limite de crédit et celle de sa conjointe alors que leurs situations étaient similaires. Tout en niant une quelconque anomalie dans ses procédures de gestion des risques (et celles de son partenaire Goldman Sachs), Apple réagissait déjà quelques mois plus tard en mettant en place des mécanismes de transparence inédits afin de contrer ses détracteurs.
Depuis, l'administration saisie de l'affaire a rendu ses conclusions. Comme j'en émettais l'hypothèse dès le début, elles confirment qu'aucune infraction envers les lois contre les discriminations n'avait été commise. En réalité, ce que révèle l'analyse du dossier est que l'origine des anomalies constatées est à rechercher au plus profond du système financier américain et, plus précisément, dans les pratiques de « scoring » régissant l'accès au crédit, qui, elles, souffrent de biais dus à leurs modes de fonctionnement.
Le rapport pointe du doigt, en particulier, les problèmes inhérents aux habitudes de gestion de l'argent dans les couples : la plupart des consommateurs pensent que le fait de partager leurs comptes bancaires et leurs ressources les rend égaux face au crédit. Or l'usage courant qui consiste pour un homme (en général) à autoriser (officiellement) son épouse à utiliser sa carte de crédit crée un déséquilibre, car les informations collectées dans ce cas par les organismes de notation ne sont attribuées qu'au porteur primaire.
En réponse à cette faiblesse, Apple lance donc sa « carte famille », une vraie première dans l'univers des cartes de crédit. Elle peut en effet être partagée entre les membres (de plus de 13 ans) d'un foyer, via un simple ajout de bénéficiaire dans l'application mobile associée, les plus de 18 ans étant alors éligibles à enregistrement de leur comportement de crédit (pour établissement de leur score), tandis que l'un(e) d'entre eux peut-être désigné(e) copropriétaire et être traité(e) à l'identique du signataire principal.
En résumé, en attendant que les véritables responsables des discriminations ajustent leurs méthodes d'évaluation de la fiabilité financière des individus, Apple prend les devants et fait le nécessaire non seulement afin d'éviter à ses clients d'être affectés et leur faire bénéficier d'un dispositif de souscription équitable (qui ne fait pas de distinction indue entre conjoints), proche de celui que préconisent les autorités, mais également pour leur donner la faculté d'être qualifiés plus justement dans l'ensemble du système.
Au-delà du produit lui-même, l'initiative représente surtout une brillante démonstration de la capacité d'un acteur à l'écoute de ses clients à repérer les frictions qu'ils rencontrent dans leur expérience, à ne jamais se résigner à leur existence et, in fine, à leur apporter une réponse optimale… y compris quand les enjeux le dépassent (qui d'autre oserait s'attaquer aux piliers historiques du score de crédit ?). Ce pourrait être une forme de définition de l'innovation, dont Apple demeure un champion incontestable.