(Anthologie permanente) Louise Glück, L'Iris sauvage et Nuit de foi et de vertu

Par Florence Trocmé


Deux livres de la prix Nobel de littérature 2020 sont parus tout récemment chez Gallimard.
Nuit de foi et de vertu, édition bilingue, poèmes, traduit de l’anglais (États-Unis) et présenté par Romain Benini et L’iris sauvage, édition bilingue, poèmes, traduit de l’anglais (États-Unis) et préfacé par Marie Olivier.
Claude Minière avait rendu compte de Nuit de foi et de vertu et Poezibao publie aujourd’hui une recension de L'iris sauvage par Camille Loivier.
MATINES
Le soleil brille ; près de la boîte aux lettres, les feuilles
du bouleau pliées, plissées comme des nageoires.
En dessous, les tiges creuses des jonquilles blanches,
    Ailes de glace, Cantatrices ; les feuilles
sombres de la violette sauvage. Selon Noah,
les dépressifs détestent le printemps, déséquilibre
entre les mondes intérieur et extérieur. Je plaide
différemment –être dépressive, certes, mais en un sens,
    attachée
avec passion au tronc vivant, mon corps
bien enroulé dans le tronc fendu, presque en paix
    dans la pluie du soir
presque capable de sentir
écumer et s'élever la sève : selon Noah, c'est
une faute typique des dépressifs, s'identifier
à un arbre alors que les cœurs joyeux
virevoltent dans le jardin telles des feuilles mortes, image
d'une partie, pas d'un tout.
MATINS
The sun shines; by the mailbox, leaves
of the divided birch tree folded, pleated like fins.
Underneath, hollow stems of the white daffodils,
    Ice Wings, Cantatrice; dark
leaves of the wild violet. Noah says
depressives hate the spring, imbalance
between the inner and the outer world. I make
another case–being depressed, yes, but in a sense
    passionately
attached to the living tree, my body
actually curled in the split trunk, almost at peace,
    in the evening rain
almost able to feel
sap frothing and rising: Noah says this is
an error of depressives, identifying
with a tree, whereas the happy heart
wanders the garden like a falling leaf, a figure for
the part, not the whole.
Louise Glück, L’iris sauvage, édition bilingue, poèmes, traduit de l’anglais (États-unis) et préfacé par Marie Olivier, Gallimard, 2021, 160 p., 17€, pp. 26-27
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LE PASSÉ
Une petite lumière dans le ciel apparaissant
soudain entre
deux branches de pin, leurs aiguilles fines
gravées maintenant sur la surface éclatante
et au-dessus de ce
ciel haut et plumeux –
Respire l'air. C'est l'odeur du pin blanc,
très puissante quand le vent souffle à travers
et le bruit que cela fait est tout aussi étrange,
comme le bruit du vent dans un film –
Des ombres qui bougent. Les cordes
qui font le bruit qu'elles font. Ce que tu entends maintenant
est sans doute le bruit du rossignol, chordata,
l'oiseau mâle courtisant la femelle –
Les cordes bougent. Le hamac
se balance dans le vent, attaché
fermement entre deux pins.
Respire l'air. C'est l'odeur du pin blanc.

C'est la voix de ma mère que vous entendez
ou est-ce seulement le bruit que font les arbres
quand l'air passe à travers
car quel bruit cela ferait-il
s'il ne passait à travers rien ?
THE PAST
Small light in the sky appearing
suddenly between
two pine boughs, their fine needles
now etched onto the radiant surface
and above this
high, feathery heaven–
Smell the air. That is the smell of the white pine,
most intense when the wind blows through it
and the sound it makes equally strange,
like the sound of the wind in a movie–
Shadows moving. The ropes
making the sound they make. What you hear now
will be the sound of the nightingale, chordata,
the male bird courting the female–
The ropes shift. The hammock
sways in the wind, tied
firmly between two pine trees.
Smell the air. That is the smell of the white pine.

It is my mother's voice you hear
or is it only the sound the trees make
when the air passes through them
because what sound would it make,
passing through nothing?
Louise Glück, Nuit de foi et de vertu, édition bilingue, poèmes traduits de l’anglais (États-Unis) et présentés par Romain Benini, Gallimard, 2021, 160 p., 17€, pp. 26-27