Le recueil s’appelle Inventions, afin de souligner la liberté de Philippe Denis par rapport à la notion de « traduction ». Sur la couverture n’apparaissent les noms ni de Bashô, ni de Buson, ni de Issa ni de Shiki, qui figurent pourtant en tête de chaque section et dans la table des matières, mais celui de Philippe Denis, qui se présente donc comme l’auteur de ce livre. Déjà dans Divertimenti, les poèmes étrangers, de Dickinson, Keats, Shiki, étaient mis sur le même plan que ses propres textes, autant de sections d’un livre unique au maître d’œuvre de langue française. Le problème de la traduction se pose d’autant plus à propos des haïkistes extrême-orientaux que les passeurs français comme Jaccottet et Philippe Denis ne connaissent pas le japonais. Denis qui ne se veut pas traducteur s’appuie, comme on l’apprend à la toute fin du livre, sur les travaux de R.H. Blyth, en langue anglaise donc.
Philippe Denis est venu au haïku… par les poètes américains, comme il s’en explique dans son avant-propos : « [il] a découvert le haïku lors de [s]on séjour dans le Minnesota, les poètes américains, Cummings, Snyder ou Corman… les avaient, depuis des décennies, adoptés et il [lui] fut aisé à leur suite de les ranger parmi [s]es livres de chevet dans la grande édition de Hokuseido Press » [l’anthologie de référence de Blyth] (p. 7). Néanmoins il a conscience de la vanité d’une approche au deuxième degré .
On trouve bien évidemment des mentions d’un univers japonais dans ces haïkus, ainsi p. 17 : « Nara /la senteur des chrysanthèmes, /la face antique de Bouddha. » Le Mont Fuji est convoqué, et à la suite sans doute de Claudel, Denis se risque même à l’ébauche d’un idéogramme en représentant la montagne par une sorte de grand accent circonflexe, qui surplombe les deux vers qui suivent (« culmine seul, / au-dessus des frondaisons. ») (p.31) Quant aux pivoines, il s’agit là d’une fleur emblématique de l’Extrême-Orient, dont elles sont originaires et qui sont un signe de longévité, de bonheur – logique d’en offrir à un grand malade. L’occidentalisme le plus manifeste se trouve p. 70 : « Idiot à la Saint-Sylvestre. / Tout autant / le jour de l’an. »
En fait, ce à quoi tend l’auteur, c’est à l’universel, comme cela apparaît par exemple p. 36, dans un poème qui ravive une vieille blessure de l’enfant trouvé Philippe Denis : « C’est le soir, c’est l’automne. / Tout simplement / je songe à mes parents. » - parole du quotidien évoquant une expérience largement partagée.
Christine Dupouy
Philippe Denis, Inventions suivi de Notes sur des pivoines, Le Bruit du temps 2021, 88 p., 11€
Notes sur des pivoines
Le 9 mai
Ma température anormalement haute, nuits et jours étaient devenus un enfer, et cela depuis quelques jours. Ce matin Haritsu et Sokotsu se rendirent à mon chevet et me firent présent d’un pot de pivoines. Sur l’étiquette l’espèce était inscrite :
GIVRE
Les fleurs étaient larges, d’un léger vermillon. A la tombée de la nuit, mon disciple Kyoshi vint. Il m’apportait une nourriture exotique. Je pris mes médicaments à deux reprises durant le jour et la nuit, mais comme j’étais en nage je ne pus que difficilement trouver le sommeil.
Ici, dans du papier de riz
enveloppé, ce présent :
les pivoines.
Apportées jusqu’ici
du Jirikisha, les pivoines
se balancent encore.
Le présent qui me fut apporté :
un pot de pivoines.
Quand je devins malade.