54x13, de Jean-Bernard Pouy par le Morbus Théâtre, avec Samuel Beck, Guillaume Lecamus et une figurine

« Je suis parti au kilomètre 85 ». Le comédien s’installe derrière la figurine fixée sur la table et fait avec les mains le geste de pédaler. « Il faut tenir ». Nous n’allons plus le lâcher. L’étape faite des difficultés naturelles de la route, tantôt souffle court, tantôt respiration plus ample, il va la gagner, il a trompé tout le monde. Mais son directeur sportif le rappelle à l’ordre. Car il y a un ordre. Et le coureur doit le respecter. Mais c’est quoi, au fond, cet ordre ? Celui de la famille, père et mère devant leur écran à Dunkerque, se réjouissant sans doute de leur fils seul en tête ? Celui de l’équipe, avec le leader qui doit gagner et le directeur sportif qui doit y veiller ? Celui de la télévision, qui se fout pas mal de la souffrance et qui veut du spectacle, sur la route et depuis l’hélicoptère ? Celui du sponsor, qui ne se déplacera même pas mais vérifiera à distance si son argent est bien employé ? L’échappé, ce qualificatif même dit bien son statut d’évadé d’une sorte de prison sociale, le peloton. C’est un rouleur, il a choisi pour développement le 54x13, un rouleur, pas un finisseur, pas un flingueur. Un rouleur, qui roule selon sa propre force, sa propre énergie, sa propre volonté. Son esprit, tendu vers l’arrivée, se laisse pourtant envahir du plaisir d’être devant, mais aussi d’images passées qui le rattrapent, souvenirs douloureux de la course, des copains, des abandons, des tragédies… 

La mise en scène de Guillaume Lecamus est au service du texte de Jean-Bernard Pouy. Les bras du comédien, Samuel Beck, tantôt serrés contre le corps, tantôt s’écartant comme le texte emplissant la page. Les bandes blanches du milieu de la route défilant, image projetée sur le plateau de la table. L’émotion qui arrive soudain dans le silence, petit vélo tombé dans la mémoire. Et la vie qui le prend, cet échappé, pas seulement champion d’un instant, mais toujours ramené à son statut : il n’a que sa force, il se croit libre mais c’est une liberté conditionnelle. Il faudra bien qu’il se révolte.

Ce spectacle était présenté au Mouffetard - Théâtre des arts et de la marionnette, à Paris.