Pour continuer à suivre mon défi du Printemps des Artistes, voici deux sonnets de José Maria de Heredia concernant des peintres.
Certes, Emmanuel Lansyer n’est plus aussi célèbre que Michel-Ange, loin de là, mais Heredia leur a consacré à chacun un aussi beau sonnet, et je me propose de vous les faire découvrir.
Emmanuel Lansyer (1835-1893) est un peintre paysagiste et aquafortiste français. Formé dans les ateliers de Viollet-le-Duc puis de Gustave Courbet, on peut le rapprocher du style réaliste. Ami des poètes José Maria de Heredia et Sully Prudhomme, il fut considéré comme l’un des plus grands paysagistes de son temps, à l’égal de Corot. Il fréquenta également les peintres de Barbizon, en particulier Théodore Rousseau. Il était aussi un grand collectionneur d’art italien.
Michel-Ange (1475-1564) est un sculpteur, peintre, architecte, poète et urbaniste florentin de la Haute Renaissance. Il peint Le Jugement dernier vers la fin de sa carrière, en 1541, bien après avoir décoré le Plafond de la Chapelle Sixtine (à Rome) en 1512, après avoir sculpté les Six Esclaves du Tombeau de Jules II (vers 1516) et plusieurs décennies après avoir sculpté le David en 1504 et la Pietà en 1499. Artiste Phare de la Renaissance, reconnu très tôt comme un génie, il a eu une influence considérable sur plusieurs générations ultérieures d’artistes européens.
Un peintre
A Emmanuel Lansyer.
Il a compris la race antique aux yeux pensifs
Qui foule le sol dur de la terre bretonne,
La lande rase, rose et grise et monotone
Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.
Des hauts talus plantés de hêtres convulsifs,
Il a vu, par les soirs tempétueux d’automne,
Sombrer le soleil rouge en la mer qui moutonne ;
Sa lèvre s’est salée à l’embrun des récifs.
Il a peint l’Océan splendide, immense et triste,
Où le nuage laisse un reflet d’améthyste,
L’émeraude écumante et le calme saphir ;
Et fixant l’eau, l’air, l’ombre et l’heure insaisissables,
Sur une toile étroite il a fait réfléchir
Le ciel occidental dans le miroir des sables.
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Marine d’Emmanuel Lansyer (source : Musée)Michel-Ange
Certe, il était hanté d’un tragique tourment,
Alors qu’à la Sixtine et loin de Rome en fêtes,
Solitaire, il peignait Sibylles et Prophètes
Et, sur le sombre mur, le dernier jugement.
Il écoutait en lui pleurer obstinément,
Titan que son désir enchaîne aux plus hauts faîtes,
La Patrie et l’Amour, la Gloire et leurs défaites ;
Il songeait que tout meurt et que le rêve ment.
Aussi ces lourds Géants, las de leur force exsangue,
Ces Esclaves qu’étreint une infrangible gangue,
Comme il les a tordus d’une étrange façon ;
Et dans les marbres froids où bout son âme altière,
Comme il a fait courir avec un grand frisson
La colère d’un Dieu vaincu par la Matière !