pour Stéphane T.
Difficile de détacher Fin d’empire (Le Corridor Bleu, 2021) du reste de l’œuvre polymorphe de F.J. Ossang, de sa musique, de son cinéma surtout. Sans doute est-il vain de vouloir définir qui, de l’œuf cinéma ou de la poule poème, précède l’autre. C’est à envisager ensemble. Dharma Guns fait-il écho à Fin d’empire ? Ou bien ce livre est-il une sorte de peau morte tombée du cinéma ? Pelure, peau, pellicule ― ce sont les mêmes mots. La même matière retravaillée, dialectisée, mastiquée dans la machine punk onirique. Matière-rêve ou substance-mort indifféremment.
L’Empire, nous explique Philippe K. Dick, n’a jamais pris fin. Or, selon F.J. Ossang dans Fin d’Empire « l’humanité commencera en brisant les seuils ». Allons-y, tâchons de suivre un peu les brisements d’Ossang, en écoutant cette sténographie mentale.
À présent je vis dans un grand siècle de lumière aux colonnes
éruptives de pierres neutres. C’est un poème de toutes sortes de mots
en application, presque sans phrase.
C’est aussi, et surtout, une poésie qui avance en s’effondrant. « La phrase qui précède est idiote, elle aussi. » Empire en pire. Et combien. « Histoire d’un empire qui se délite sans plaisir, craque, cède par lambeaux. » Le délitement, dont il était déjà question dans Dharma Guns. Ce vent qui « tourne plus vite qu’un tigre », lui aussi présent dans le film de 2010.
On a pu voir en Ossang un cinéaste « à la lettre ». Il arrive, à l’inverse, que le poème fasse ouvertement signe au film. Ainsi est-il question de la ville de Marseille, où finit 9 Doigts (2017). De Rimbaud à Conrad, en passant par Artaud, c’est aussi bien pour ramener le film dans le champ de l’écriture, de la poésie.
Enfin Marseille — l’histoire du film 9 DOIGTS s’arrête
Dans la ville où Arthur Rimbaud est mort –
Et plus tard Antonin Artaud naquit –
Songer aux dates : Rimbaud meurt en 1891,
Artaud naît en 1896.
Marseille aussi, où Joseph Conrad apprit son métier
de Capitaine.
Je dirais de la poésie d’Ossang qu’elle est demande d’image. Avec Fin d’Empire, il nous est offert une réflexion sur la poésie. Mais c’est indissociablement de poésie et de cinéma dont il est question. Ossang, à la fin de Fin d’Empire rêve à un film, un film de fin de vie, justement, adapté de son « Île de la terreur » (dernière section du recueil Fin d’empire). À la fin, le cinéma. À mieux dire : le tissu conjonctif cinéma-poésie.
Mathieu Jung
F.J. Ossang, Fin d’empire, Le Corridor bleu, 2021, 112 p., 13€