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(Note de lecture), Etienne Faure, Et puis prendre l'air, par Nathalie de Courson

Par Florence Trocmé


Etienne Faure  et puis prendre l'airLes titres des livres d’Étienne Faure sont à prendre au mot. On peut aussi compter sur sa sollicitude : après nous avoir donné le vertige avec le recueil Tête en bas (Prix Max Jacob 2019), il nous remet aujourd’hui sur nos pieds dans les dix promenades poétiques en prose de Et puis prendre l’air. « Sortir », dit tout de suite l’infinitif engageant de la première ; « Prendre l’air », reprend allègrement celui de la dernière.
Nous partons donc respirer l’air « des villes et des champs ». Les villes, c’est d’abord Paris et ses bancs publics auxquels est consacrée la plus longue séquence : « Eloge appuyé des bancs ». L’homme des villes et des foules dans la tradition de Baudelaire observe ses « collègues de planche » de tous âges et de tous pays avec un œil, une oreille et une plume qui rient en coulisse.
Mais sous leur peinture, les bancs « se souviennent qu’ils furent arbres, ressentent dans leurs nœuds les branches de naguère, comme l’estropié la douleur de son bras absent. » De même, derrière les habitants des bancs qui « boitent en dedans », murmure la grande histoire : Commune de Paris, guerres mondiales, épisodes coloniaux, ou la petite histoire imaginaire de la capitale : « le fer des roues et des sabots sur le pavé, les hennissements, les cavalcades, les ruades des juments et des canassons, les Oh-nom-de-Dieu des postillons, leurs jurons sous les portes cochères » …
« Les hommes sont des passants », dit une épigraphe de Joseph Roth qui pourrait résumer le propos du livre. Au fil des groupes de proses, on quitte les bancs pour aller dans les champs à la cueillette des mûres ; dans un cloître au bord d’un ruisseau ; dans les « caves » normandes de l’enfance ; dans des hôtels de province où séjournèrent de considérables passants écrivains ; dans de lointains « coins du globe » comme « le vieux caillou » de Cayenne qui « caquette, non, cancane, non carcaille au passage des pirogues » …
« Prendre l’air », n’est-ce pas aussi laisser les sonorités gambader souplement hors du cadre contraignant du vers « qui piétine, tant l’avancée est mesurée » ? Etienne Faure, en trapéziste qu’il ne cesse d’être, dit user d’un « carnet tête-bêche » en écrivant d’un côté en prose, de l’autre en vers, mais les pages se détachent par endroits. Le passage aux vers peut se faire sous la pression d’une émotion, comme ces quelques notes trouvées en début d’automne dans une poche de veste avec des châtaignes et un colchique séché, et qui bout à bout composent un poème. Quelques pages plus loin, après la comparaison de certains souvenirs écoeurants à une viande faisandée, on lit des vers qui contiennent leur propre raison d’être :

(…) ainsi qu’une syntaxe
Interrompue, lardée
pour mieux laisser les mots
suinter, rendre
l’inexprimable
(p. 43)

Toutefois, la prose reste nécessaire pour répondre au projet global du livre, discrètement formulé au début de la dernière séquence qui évoque un voyage en train :
Un léger déplacement des points de vue sur le monde est signe de résurgence. Déplaçons-nous, légers, transports et voyages, découvertes. Train céleste, appels d’air. En route (p. 111).
Les déplacements à l’œuvre ici favorisent cette « résurgence » qu’annonçait le « Et puis » du titre, avec les transferts de sens qui lui sont associés :
Depuis la vitre à vive allure on aperçoit les arbres qui fuient, les buissons, les lapins, tout un monde qui détale un jour de dégel ou de saint-glinglin quand la vitesse du train fabrique dans le paysage une écriture par hypallage, télescopage, accélère les mouvements qui libèrent du froid et du temps figé sur la plaine (p. 112).
Dans ce monde remuant, les mouvements d’un écureuil sont une passagère allégorie de ceux de l’écrivain :
Fuir, esquiver, changer d’arbre est une manie chez l’écureuil qui s’épargne ainsi la vie, croit-il, en sautant dans les airs, et contre la pesanteur reste en suspens, ne chute jamais, amasse des idées, les oublie, n’en finit pas d’aller de branche en branche ainsi qu’un écrivain ‒ nouveaux chapitres, paragraphes, à la ligne ‒, ne sachant s’arrêter, s’y résoudre et comment atterrir, s’il faut atterrir, prévoir un rebondissement, craignant le faux mouvement qui terminerait l’aventure par inertie, sans rien qui relance ou qui sauve : nul panache, mauvaise chute (p. 120).
À l’avant-dernière page, la seule « mauvaise chute » sera celle de la casquette d’un « je » cycliste, assez vite retrouvée dans un pré « qui flirte avec le printemps », à la manière de cette prose vivifiante qui « contre la raideur d’hiver active la circulation ».
Nathalie de Courson

Étienne Faure, Et puis prendre l’air, Gallimard, décembre 2020, 127 pages, 14,50 €


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