Le concept « transition générationnel » a été usité par Paul Biya en février dernier quand il s’adressait à la jeunesse. A l’épreuve de la réalité, il est temps de se demander si l’opinion avait bien cerner toute l’étendue du champ de la sémantique présidentielle.
Le coup de semonce et peut-être de grâce, est venu de la reconduction sans hésitation de Marcel Niat Njifendi (86 ans) à la tête du Sénat et de Cavaye Yeguie Dji bril (81 ans) au perchoir de l’Assemblée nationale ! Assurément que Paul Biya, fidèle à ses us et coutumes en politique, a lancé ce pavé dans la marre- certains esprits brillants parleraient de fumigène et devraient assumer ce lexique- soulevant au passage des ondes d’espérances multiformes et multidimensionnelles. Paul Biya et les siens, sont dans la moyenne de 80 ans d’âge. Quelle est la génération qui la suit ? Les Camerounais âgés entre 60 et 75 ans ? Ou entre 50 et 60 ans ? Voilà la première piste sur laquelle on veut s’aventurer qui devient subitement brumeuse et ténébreuse. L’autre piste très glissante celle-là, est de savoir comment s’opérerait cette transition. Il faut ici intégrer comme acquis avec une bonne dose de naïveté, que Paul Biya et ses amis quitteront la scène ensemble, solidairement, transmettant fièrement le témoin à leurs petits frères et petites sœurs qui auraient l’étoffe de conduire les affaires de l’Etat, surtout dans la continuité, comme ils ont tracé les sillons. Comment cela se fera-t-il alors ? Le modus operandi est posé dès lors sur la table ! Deux hypothèses s’affrontent.
En premier lieu, on peut penser que ceux qui sont aux affaires aujourd’hui, décident délibérément de violer le code non écrit mis en place par les « founding fathers » de la Nation. Ce pacte qui se construit veut que la dévolution du pouvoir se fasse en dehors des considérations communautaires ou tribales. De ce fait Ahmadou Ahidjo était du Nord et cela n’a pas été un obstacle pour qu’il transmette le pouvoir à Paul Biya du Sud. Dans le cadre de la transition générationnelle, il est bien question des pères qui transmettent le pouvoir à ceux qui sont plus jeunes. Celui qui hérite du pouvoir de la sorte applique à la lettre la politique du prédécesseur à moins que quelques couacs surviennent. Le Renouveau a suivi à la lettre la politique du régime précédent jusqu’à ce que le coup d’Etat du 6 avril 1984 arrive et surtout le violent Vent d’Est, la dévaluation du Fcfa et les Plans d’ajustement structurels des années nonante. Tout ceci a dévié Paul Biya du chemin tracé, bon gré, mal gré. Dans cette optique, la transition générationnelle ne pourra se faire qu’en faveur des fidèles ou des plus fidèles aptes à poursuivre la politique mise en place. Cela se fait tant et si bien qu’aujourd’hui, certains hommes d’Etat, pour se rassurer que leur image et leur héritage seront préservés optent pour une transition générationnelle certes mais plus resserrée, filiale. Le Gabon et le Togo nous servent des cas de figure. Cela est-il possible au Cameroun ? Paul Biya ne donne pas des gages à première vue pour cette option.
En deuxième lieu, le tenancier du pouvoir suprême, fidèle à la pratique mise en place par les pères fondateurs de la République, décide de transmettre le pouvoir à un fidèle, à un de ses proches.Dans ce cas, comme on peut le constater, ils sont légion et se bousculent au portillon de la Maison Rdpc. C’est au niveau du modus operandi que les attentes deviennent sinueuses. Au niveau des deux hypothèses, il est indiqué que les trois personnalités au sommet de l’Etat optent pour une modification ou une adoption des lois pour rendre cela possible. De ce fait, un projet de loi viendrait de l’Exécutif et le parlement le voterait avec entrain pour entériner cette volonté. Mais ce ne sera pas tout dans ce cas de figure car aussi vrai que la loi sera à la taille d’un favori, elle sera aussi aiguisée dans toute sa finesse pour nuire à tous ceux qui pourraient entraver cette volonté au sommet de l’Etat ou au sommet du parti dominant. A contrario, peut-on envisager l’hypothèse d’une transition où Paul Biya et les siens laisseraient les jeux ouverts et que le ou les meilleurs remportent la mise ? Il s’agit là d’une question excessive qui a très peu de chance de prospérer dans le biotope politique camerounais. Le président Ahidjo, avant de se retirer avait pris le grand soin de mettre en scelle son protégé contre tous les adversaires ouverts et de l’ombre de l’époque. C’était là la première transition générationnelle du pays, où Ahidjo né en 1924, cédait la place à Paul Biya, né en 1933. Dix ans d’écart. Une génération. Le premier président du Nord, avait décidé de céder son fauteuil à un fils de la province du Centre-Sud. Au regard de tout ce qui précède, la transition générationnelle suppose une participation accrue des tenanciers actuels du pouvoir dans la transmission du pouvoir à la génération suivante. Ce qui n’est pas toujours le cas dans le cadre de la transition politique.
La transition politique
La transition politique contrairement à la transition générationnelle est plus large en ce qu’elle englobe la seconde. De manière plus concrète, la transition politique suppose d’abord une mutation des instruments de dévolution du pouvoir qui par la suite entraîne ou pas un changement du gestionnaire principal du pouvoir. La transition politique de ce fait est un changement de régime ou de République pour parler du cas français. Depuis 1958 à nos jours, la 5ème République en France a connu 8 chefs d’Etat, sans qu’il y ait une remise en cause fondamentale des institutions, ce qui traduit leur solidité et leur stabilité. Par contre au Cameroun, l’avènement du président Biya n’a pas encore marqué la stabilité des institutions camerounaise. Parler de transition politique demande donc d’opérer une révision démocratique des institutions pour une marche sereine, fluide de notre ordonnancement juridique. L’opposition par exemple demande la révision consensuelle du système électoral précisément dans la démarche d’une transition politique.
L’autre fait bien compris de la transition politique est que dans ce cadre, les nouvelles autorités, une fois aux affaires, qu’elles soient ou non du même bord politique, ont tendance à œuvrer en toute indépendance de la dictature du parti politique. Le bilan est au cœur de l’action des acteurs politiques car c’est sur ce dernier et sur lui seul en principe que les citoyens se déterminent à choisir leur souverain. La transition politique voulue ou demandée au Cameroun voudrait donc placer le citoyen au cœur de la vie politique en lui donnant la capacité de sanctionner ou d’adouber les entrepreneurs politiques en fonction des résultats sociaux. Tant qu’il n’y aura pas donc cette mutation des institutions, l’arbitraire aura toujours une place prépondérante dans la vie politique nationale. Le conseil du président américain Barack Obama lors d’une tournée au Ghana, « l’Afrique a besoin des institutions fortes et non des hommes forts », a tout son pesant d’or.