Quatrième de couverture :
C’est un portrait double que dresse en cinq brefs carnets celui qui dit « je » dans cet étrange et envoûtant roman. Le fils parle de son père : « Qu’a-t-il fait à la guerre, Papa ? – Il s’est engagé à dix-sept ans. Il ne faut pas parler de ça. » Et à travers le père, le fils parle aussi de lui : « Tous les moi que je suis, enchâssés l’un dans l’autre depuis le tout premier. » Au fil de phrases courtes saisies entre des silences, s’écrit l’histoire d’un homme, ni pire ni meilleur que tant d’autres, happé par l’Histoire, entraîné à tuer sans même savoir s’il a vraiment choisi. Ce « Journal d’un autre » pourrait bien être le « Journal de tous les autres » et ce n’est pas la moindre prouesse de ce livre dense et poignant.
Dans ce court roman, on sent le poids du secret (mal gardé) qui a pesé et pèse sur le narrateur : le père s’est engagé dans la Légion Charlemagne (des soldats français qui ont collaboré avec les nazis dans la campagne contre l’URSS). Après la guerre, ce père a sans cesse fui sa famille, ses enfants, incapable sans doute de se fixer et d’assumer cet engagement.
Evidemment ce genre de secret ronge les descendants : le narrateur se demande dans quelle mesure il porte les mêmes dispositions à la violence que son père, il peine lui aussi à s’attacher, à se faire des amis et finit par habiter dans un entresol typique des maisons bourgeoises, un entresol où il peut en réalité se cacher de l’extérieur. Il a pour seule compagnie un chat errant et une femme, la seule qu’il puisse considérer comme son amie et à qui il n’a jamais révélé complètement son histoire familiale.
Le roman, composé de cinq carnets, joue sur l’ellipse et la métaphore. Tout comme le fils a dû deviner le secret du père, le lecteur comprend aussi entre les lignes, la réalité de l’engagement dans la Légion Charlemagne et des exactions commises par celle-ci à la suite des nazis n’est dévoilée que dans le quatrième carnet. C’est un poids tellement lourd à porter que les émotions sont tenues à distance, ce qui fait que sans doute, malgré le désir que j’avais de lire ce livre et malgré l’originalité du style, il sera peut-être vite oublié, malheureusement.
« La faute du père, tu sais, tu sais, ça écrase le fils. Le fils reprend la faute et la fuite du père. C’est un fardeau commun, pas tout à fait secret, un fardeau de famille. Un fardeau comme un autre. Tu devais te cacher, nous devons nous cacher. Personne ne doit te voir. Personne ne nous verra. Nous voir, c’est voir la faute. Un père est quelquefois un Cain sans Abel. » (p. 63)
« Il est tout seul. Je suis tout seul. Je suis le genre humain traînant au milieu de rien. Il faudrait dire « il » mais lui, c’est aussi moi. C’est moi autant que je suis « il ». Sujet de quoi ? Je suis le genre humain traînant parmi la neige, traînant parmi les fleurs des poèmes anciens et leurs couleurs, encore, sont celles de l’aurore. Je suis et fils et père. » (p. 82)
« Je vis désormais en reclus. Dans ce qui me sert de chambre, la plupart du temps. J’ai installé mon lit et ma bibliothèque dans la cuisine-cave. C’est une spécialité architecturale d’ici dans laquelle je me retrouve très bien. Ni cuisine, ni cave, elle est à l’image de cette ville, de ce petit pays ni chaud ni froid, ni bon ni mauvais, en tout cas pas plus que les autres. Vivre sous ses nuages est mon héritage maternel. Pays paisible, pays pour rire, disent ceux d’ailleurs, mais c’est sans doute qu’ils sont jaloux. Pays où la bien-pensance fait d’une certaine qualité de silence, d’un certain genre de mutisme, un devoir. Pays où les peintres font les ombres avec du brun et du noir tant qu’ils n’ont pas vu la Méditerranée. Neutre, oui. Qu’importe ici ou là, nous sommes « enfermés sur la terre » quel que soit le pays. Pas tout à fait vrai, pas tout à fait souterrain, mon sous-sol est à son image. » (p. 85)
Jacques RICHARD, Le Carré des Allemands, éditions de la Différence, 2016
Comme les éditions de la Différence ont disparu, ce roman a été réédité par Onlit en 2017.
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